Livre 1 complet :
L'expérience intérieure dans
la schizophrénie dysthymique
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Terre soleil voix
I come back from a distant world / Je reviens d'un monde lointain...
Quel être humain peut affirmer le plus sérieusement du monde :
"Je suis Dieu" ?
Seul un fou le peut. En plus d'y croire.
...tu t’es perdu ?
Je ne suis pas là, je n’ai pas d’être. Je suis mort-né.
Ici textes, toiles, dessins, photos repêchés en bord d’abîme
entre 2006 et 2024.
Ex-alcoolique, ex-toxicomane, schizo.
J’écris à chaude goutte. Je m’immole.
La psychose me colle à la peau jusqu'à la nécrose.
Or, je n’écris plus. Voici mon feu voici mes os
perdus
Chaque lecteur peut ici librement se consumer.
Et le musicien dit :
"Encore".
Bienvenue dans la crypte.
Tu t'es perdu ?
Adresse aux visiteurs d'un autre monde
En vérité, c’est une bénédiction et non une malédiction
que d’enseigner : « Sur toutes choses, se trouve le ciel hasard,
le ciel innocence, le ciel à peu près, le ciel témérité. »
« Par hasard » — c’est là la plus vieille noblesse du monde,
je l’ai rendue à toutes les choses, je les ai délivrées
de la servitude du but.
Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
Les textes qui suivront proviennent d'un livre que j'ai rédigé, originellement titré Personne n'est allé aussi loin que moi. Il fût refusé dans toutes les maisons d'éditions.
J’eus ensuite l’idée de me publier à compte d’auteur sur ce site, mais en ne m'imposant aucune limite autant dans les mots que dans les images.
J'en appelle au scandale.
L’idée de quantique fait référence à une conception extrêmement populaire du mot : être présent dans deux endroits en même temps jusqu'à ce que le résultat soit vérifié. Ce que l’expérience de la schizophrénie m’a fait vivre en quelque sorte. Quant à la réalité du terme “quantum”, elle est tout sauf juste puisque la physique quantique se situe du côté des atomes et des particules non pas à l’échelle humaine. Quantum signifie “la plus petite mesure indivisible”. À l’inverse, l’étymologie du terme “schizo” veut dire “ relatif à un scission, une rupture, une séparation”.
J’oppose donc quantum à schizo en décrivant la psychose comme cette scission qui deviendrait quantum, c’est-à-dire indivisible. J’ai toujours ressenti la psychose comme une cassure, or pourquoi ne pas la rendre “quantum” en ce sens que plus rien ne pourrait venir saccager notre intériorité et faire de nous un miroir cassé. En d’autres mots, quantumschizo voudrait dire “guérison” ou “être déchiré mais maintenant resolidifié”, bien que "quantum" soit un mot très galvaudé et de la mauvaise façon qui est plus....
J’ai ensuite eu l’idée de reprendre tout ce que j’ai fait en art visuel afin d’illustrer mes textes. Cette décision a fait en sorte que j’ai dû refaire de nouvelles toiles, dessins et photos puisque l’étendue de mes textes l’exigeait. Mes mots poignardent cette page et les toiles, dessins et photos sont les plaies qui résultent de mes crimes. Coupable d’exister, maintenant je m'expie.
À ce moment-là, je me suis souvenu de l’effet ressenti lorsque je tournais les pages de L’érotisme de Georges Bataille et qu’une image apparaissait. J’étais dans un état d'effroi et de fascination. J’ai voulu ici radicaliser cette sensation lorsque j’ai incorporé des images dérangeantes à mes textes. Beaucoup d’éléments peuvent choquer autant dans mes textes que dans mes représentations de....
Je le redis : ce site est un endroit pour un public majeur et averti. Rien d’illégal n’y figure, mais je peux faire référence à des sujets qui sont illégaux. NSFL me semble être la manière de décrire cet endroit. Si l’oiseau vole dans ce secteur, il risque d'y perdre des plumes.
*
Vous êtes dans une théâtralisation. Tout est un jeu.
La volonté propulsant ma création existe à travers cette déraison qui cherche le retour à la raison et l'inverse ou, en d'autres mots, cette abstraction qui réapprend sa forme figurative et ce figuratif qui fond en abstraction angoissante. Mais pour que ce passage se dévoile, il faut qu'un sacrifice ait eu lieu. Habitant l’en dehors du monde, je vous partage cette offrande.
Personne n'a mieux que moi fait ressusciter la raison en provenance de l'abîme de la psychose. Je parle aux vivants depuis le royaume des morts.
Fuyez.
*
Respectez vos limites. Prenez soin de vous.
Il n'a rien d'autre à chercher ici qu'une expérience intérieure
qui vous soit singulière.
saint psychosis
L’expérience intérieure dans la
schizophrénie
Bienvenue à la cérémonie
(Mise en garde au lecteur)
« À l’obscur et en assurance » Saint Jean de la Croix
L’amour le plus grand, le plus sûr, pourrait s’accorder avec la moquerie infinie. Un tel amour ressemblerait à la plus folle musique, au ravissement d’être lucide.
Georges Bataille, Œuvres complètes Tome 6 (Sur Nietzsche), p. 76.
Si par la destruction la création éclot et si inversement par la création la destruction advient, alors ce présent et très humble texte est un effort de rationalité tragique.
effort of tragic rationality
Je pense par psychoses et j’enseigne ceci :
cassez les cercles et vous inversez la gravité.
Naissance de la roue. Un fou peut-être, mais qu’on affole, interne, déréalise, crucifie sur les vignes. Schizophrénie, alcool, drogues m’ont rendu particulièrement bavard. Surtout lorsque je suis seul. L’autodestruction ̶ le génie pervers de l’autosabotage ̶ rend mon existence un tant soit peu supportable. Dans les autres mondes, aussi réels que celui dans lequel tu existes, règnent encore cette loi dévastatrice : temporairement, se tuer soigne. Je réintègre votre monde que je partage avec vous grâce à des sédiments du réel (des médicaments).
La folie de la domination scientiste, par le biais de la psychiatrie, entrave la créativité du schizologos (créature d’inspiration eschatologique qui surgit par la fêlure de la raison). En ce sens, l’un des crimes les plus abjects, venant de ces marchands de comprimés, consiste à interner systématiquement tout ce qui par nature jaillit hors de ce monde que ce soit par le principe d’expansion-rétraction (destruction) ou celui de la rétraction-expansion (création) du cosmos.
Je mène une charge contre le réel, cette hallucination persistante, à partir de laquelle je m’élève. La psychose se présente d’abord en tant que révolution (dans tous les sens du terme). À la sortie du labyrinthe, j’ai préféré sceller mes mains à jamais plutôt que les faire rebondir incessamment. Je parle d’un monde où tout a été aboli, là où l’expérience mystique aboutit à la camisole de force puis à l’overdose. Le réel se disloque. Nous l’avons fait.
into ecstasy...
Et ce texte que ton oeil traverse est véritablement fait des tissus de ma peau, car le jeu de l’écriture implique un sacrifice qui ici a réellement eu lieu. La création, dans les conditions de cette violence a-productive, transforme l’enfant naïf en un artiste-criminel récidiviste. Métaphysiquement coupable.
Écrire et penser m’ont rendu fou[1]. Par conséquent, dans les textes qui suivront, l’expérience mystique s’accorde avec le ravage de la schizophrénie qui joue et se joue d’elle-même impitoyablement. Composer avec les voix…les sacraliser dans une chorale transcendantale !
- Mais d’où provient-elle ?
- De Terres extraterrestres que j’ai habitées à travers les scissions.
chaos in addiction
Ma « carrière » de malade psychique commença au début du mois de septembre 2007. Je fus interné de force à l’hôpital Pierre-Boucher à Longueuil au Québec. Si, par hasard, tu traverses ces pages de verglas, c’est peut-être parce que tu as toi aussi un rôle à jouer. Je te convie dès ce moment à cette divine débauche. Au matin, nous aurons fait jouir la fatalité puis, à mains nues, nous aurons fait sombrer le destin dans le coma.
pierre-boucher hospital: emergency. receipt of merchandises
Pourtant je dois t’adresser cette mise en garde : je t’aime loin. Ne me suis pas trop de près, car je suis péril, je suis spirale, je suis trou noir. Je vous ferai entendre ces voix. Car ce seront-elles qui, dans l’éventrement de l’écriture, prendront ma place sournoisement, sans s’annoncer.
Les traces de sang qui imbibent l’écran prouvent l’irréfutable existence de la matérialité de l’âme. Tu ne les vois pas ? Pourtant je suis le couteau, le cri, la plaie. Très souvent, il y a plus de réels dans la psychose que dans la réalité même.
Mais, je te rassure et je te console, même si mon sang est vin et mes veines sont des vignes, j’ai mûri et, dans l’ivresse perpétuelle, je sais contempler, donner, jouir, m’affirmer, m’extasier, rire…dans l’implosion des hurlements et par les éclats intérieurs, je me suis vaincu.
*
Dans la nuit, le soleil gémit et l’autre réel apparaît. Dans la « psychose » mystique, ni inventée, ni virtuelle, ni illusoire, mais contemplative, les illuminations adviennent. Au-delà du plus lointain, c’est la nuit et le jour au même instant – adamique ! – c’est l’éveil, dans un autre corps, au beau milieu d’une autre planète…le premier de son espèce.
drawing made in psychosis without knowing that I am in this state
[1] Est réellement insensé celui qui veut devenir fou : injustifiable et inavouable…j’ai voulu l’être. À ce sujet, Artaud a compris le sens profond sommeillant dans cette fatalité : « Et qu’est-ce qu’un aliéné authentique ? C’est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l’entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain. C’est ainsi que la société a fait étrangler dans ses asiles tous ceux dont elle a voulu se débarrasser ou se défendre, comme ayant refusé de se rendre avec elle complices de certaines hautes saletés. » Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, Paris, Gallimard, 1974, p. 30-31.
Introduction à la psychose
Tout à coup on frappe à la porte. Des sbires entrent. On se jette sur lui. On lui met la camisole de force : il est emporté chez les fous. Il devient fou réellement. Vision de l’homme se débattant avec les barreaux. Je trouverai, crie-t-il, le problème central, celui auquel tous les autres pendent comme les fruits à la grappe.
- Artaud, Œuvres, p. 102.
Les conditions de création de ce site proviennent d’une expérience du chaos. Elles sont donc impures. Ces pages de verglas ont pu voir le jour grâce à la notion de passage qui n’est pas étrangère à ma compréhension extrêmement limitée de la physique quantique. De sorte que la conscience du schizophrène se situe à plusieurs endroits en même temps. Mais pas seulement…Là-bas mes lèvres, ailleurs l’une de mes jambes, plus loin l’un de mes deux poumons et je ne sais où, mon œil qui roule. Chaque partie de mon corps et chaque organe possèdent sa propre conscience. Chacune des parties de mon anatomie, chaque muscle et chaque nerf bénéficie de cinq sens en plus d’une rationalité singulièrement communicante.
a certain passage...
Le chemin qui sera franchi ici ira de la raison à la déraison puis de la déraison à la raison…il s’agit néanmoins toujours d’un passage au sein duquel la raison est dissoute dans la psychose afin qu’inversement, par un principe de hasard, de chance voir de miracle, la raison se régénère. Chez les animaux, l’autotomie s’effectue par une :
« rupture volontaire d'un appendice (patte ou queue) à la suite d'une brusque pression assez intense. Une sauterelle, saisie par sa patte postérieure, la détache tout entière et s'enfuit ; un lézard, attrapé par sa longue queue, la brise et l'animal mutilé s'échappe. Ce phénomène d'autotomie est un comportement inné, un réflexe de conduite ; il est connu chez les crabes, les phalangides, les pycnogonides, des chilopodes (Lithobius, scutigère), les blattes, les phasmes, les orthoptères, les tipules, des échinodermes (crinoïdes, holothuries, astéries, ophiures), les lézards […] Dans certaines espèces (lézard, pycnogonides), l'autotomie est suivie de régénération. Mais dans certains cas, la régénération détruit les conditions anatomiques locales dont dépend l'autotomie ; elle ne se produit alors qu'une fois. Chez la sauterelle, la régénération des pattes autotomisées ne s'effectue pas. Quelques rongeurs (Apodemus, Peromyscus) possèdent une propriété analogue à l'autotomie : leur longue queue perd aisément son fourreau cutané sous l'action d'une faible traction ; l'animal est ainsi libéré. L'axe vertébral à nu se dessèche et tombe ; le moignon se cicatrise. Ce phénomène semble ne se produire qu'une fois, mais il n'est pas rare. [1]»
Chez l’être humain, la régénérescence existe également, mais, cette fois, il s’agit d’une régénérescence cognitive qui reste, malgré tout, rare. L'altération des cellules nerveuses et des neurones dans la psychose ne relève pas de la destruction du cerveau, mais d'une re-création de celui-ci. Un remodelage de la base au sommet. La cellule qui « brûle » agit en fait comme une étincelle à l’endroit de celles qui se sont réellement éteintes.
Acephale
the body in cigarettes
autotomy
Dans l’incendie de la psychose, nous sommes chimiquement maintenus en vie. Mais cette zone grise, par sa singularité et par sa résistance, possède en elle-même cette possibilité de régénérescence psychique à l’image de traits physiologiques chez certains animaux. Nous sommes devenus acéphales[2] comme l’animal qui se coupe volontairement la queue parce qu’il n’y a pas d’autres possibilités de survie lorsqu’un prédateur (soi-même, les autres, « personne ») est sur le point de nous engloutir définitivement.
Mais puisque le schizophrène traverse des chemins qui sont interdits, il en demeure à jamais marqué, si bien que sa conscience sera dorénavant mutilée et ainsi, dans une sorte de malédiction, profondément hantée par elle-même. Puisque sa plaie est grande ouverte, tout veut entrer de force en elle sans qu’il le désire jusqu’à pousser alors son dernier cri. Mais contre toute attente, nous ne sommes pas morts. On nous a jeté un mauvais sort. Il s’exprime par le fait de posséder une conscience après la psychose. En d’autres mots, ressusciter après être allé au-delà des morts…Nous comprenons alors peu à peu la réalité partagée et commune, l’espace social donc, puisque nous avons été hors de celui-ci et avons pu l’observer d’un regard…étranger. Nous nous retrouvons ainsi dans un monde extérieur à nous sans le réaliser pleinement, mais dans lequel nous sommes englués. Il ne nous reste plus qu’à aspirer à l’anonymat (trafiquer les caméras de surveillance, supprimer toute forme de traces numériques (par ce site, j'abandonne en quelque sorte cette dernière volonté…)). La cause de tous nos malheurs doit être vaincue. L’Œil doit être crevé. Au couteau.
stab the page
La pensée qui habite le chaos jusque dans l’extase donne naissance, à l’encontre d’elle-même, à une souveraineté mystique qui s’insère dans un rapport d’immanence et de transcendance. Plus la rationalité glace (en faisant du sensible un objet avec le réductionnisme psychiatrique, par exemple[4]), plus on se prive de la réalité transcendantale de la psychose. De même, plus l’on se soucie de cadrer la psychose en tant qu’objet de connaissance défini, clair et extériorisable, plus on se coupe de l’immanente intériorité transcendantale provenant de cette divine cassure.
Par conséquent, je me fous bien de la sérotonine, de la dopamine, de l’ocytocine et des endorphines puisque les dés ont été jetés et que les juges ont déjà prononcé leur sentence : « Coupable. Pour être allé dans le lointain et pour avoir voulu côtoyer les déesses et les dieux, tu es coupable. Et nous te condamnons à la malédiction de la conscience. »
representation of Antonin Artaud and the problems of perception in psychosis
En ce sens, la pensée et l’imaginaire avancent à l’envers dans un monde où l’implosion intérieure et créatrice est « vécue » (à travers un gavage généralisé) par procuration. Ainsi, l’imaginaire, pour se sauver de lui-même, déclenche un incendie en son lieu le plus lointain, en son refuge le plus secret. Le fou a besoin de fuir. Mais il ne peut pleinement le faire sans ce sacrifice radical qui a comme horizon ultime l’extinction intime de soi. Ainsi, entre-temps, dans un mouvement de retour, sa conscience devient maudite. Celui qui meurt plusieurs fois devine qu’il habite dans un cimetière mental, alors qu’en vérité, dans le paroxysme de la suppression de soi, si l’on sait demeurer impassible, le réel unique et connu s’ouvre à d’autres réels et ainsi à d’autres mondes, inconnus de nous, hors temps et hors espace. En définitive, l’expérience intérieure s’enfonce dans la chair mentale si profondément et si violemment qu’il est indéniable que cette marque du sacré possède une existence tangible qui se manifeste par des traces perceptibles contenant une signification cryptique.
the ink of the gods
Dans un contexte d’hégémonie techniciste, scientiste et néolibérale désacralisant notre monde, l’humain est effrayé par sa propre monstruosité. Il s’empresse, en s’autoconfirmant dans sa phase circulaire de photo-reflet, d’être un déchet confiant, une futilité filtrée, un appât pour algorrithmes. La dernière marchandise qu’il consommera sera lui-même. L’humanité va vers…son/sa (auto)cannibalisation.
Et puisque l’on fabrique des idiots travaillants et utiles perpétuant ce réel désastreux, la psychose n’est que la riposte (la révolte intérieure) la plus logique qui soit.
*
L'événement tragique, le « désastre [5]», comme Maurice Blanchot le chuchotait dans les failles de la feuille, se situe moins dans son évènement que dans son « trop tard » (culpabilité, impuissance, fatalisme, ressassement, ressentiment, finitude graduelle, écroulement définitif…). Mais ce « trop tard » ne saurait être dépassé sans l’inversion de l’ordre du monde, sans une transfiguration de l’instant.
an inner experience
Nous ne pouvons pas habiter éternellement la mort lorsque l’on se situe du côté du vivant puisqu’elle incarne le non-savoir mystique et ainsi l’incommunicable : c’est l’itinérant fou qui hurle : « Je suis le Christ », c’est la prostituée qui marche avec un seul talon haut, le visage en sang avec un œil au beurre noir au beau milieu d’un grand boulevard d’une ville, c’est la guerre et son arôme d’apocalypse, c’est la petite fille qui entre dans une camionnette pensant pouvoir rencontrer son nouvel amoureux avec qui elle a longuement discuté sur Internet.
Le tragique a un temps unique. Le tragique est le paroxysme de l’instant. Il est l’impossible qui se manifeste. Le rire sait parfois désarmer les bourreaux à condition de savoir inventer ensuite un scénario convaincant, favorable et salvateur pour soi-même. Il est possible qu’un ange paradoxal passe et qu’un miracle survienne (espérer ou ne pas espérer n’y change rien), d’autres fois, il n’y a personne, et on nous fait manger nos propres organes. Cependant, si la survie survient, c’est-à-dire si le miracle surgit, une intime proximité avec l’instant de l’extrême continuera à nous traverser à travers ce va-et-vient au sein du passage, suprêmement insoutenable, mais que l’on doit néanmoins surpasser. Il n’y a pas d’autre choix. Sinon la mort.
*
Heureusement, l’histoire de la pensée nous renseigne sur le désastre et nous aide à trouver d’autres passages lorsque nous sommes sans cesse de retour dans ce labyrinthe sans issue. Friedrich Nietzsche nous défie : le tragique (“le courage veut rire[6]”) s’affronte par la légèreté. Tandis que Georges Bataille, qui radicalise encore le philosophe allemand, nous incite à pratiquer la joie devant la mort[7]. On rira de moi peut-être encore, mais certains textes de Bataille sont pour moi de véritables prières.
friedrich nietzsche by enrique carceller alcón
georges bataille
representation of eternal recurrence
Ces prières sont des fusées qui permettent, à mon avis, de quitter l’impasse du labyrinthe par la voie des hauteurs. Le décollage de ces fusées brûle le labyrinthe où nous étions détenus. Nous resterons ébahis encore quelques instants en apercevant ce labyrinthe qui, au loin, se consume, mais on sait maintenant, vu des airs, où se trouvait sa véritable sortie. S’échapper de l’immonde enclenche notre processus de régénérescence dans un endroit spécifique et unique dont seules ces fusées possèdent les secrets. Ne reste que la destination ? Mais où allons-nous ? Vous verrez. Vous verrez. Car tout finira par recommencer :
II
Je suis la joie devant la mort.
La joie devant la mort me porte.
La joie devant la mort me précipite.
La joie devant la mort m'anéantit.
Je demeure dans cet anéantissement et, à partir de là
je me représente la nature comme un jeu de forces qui
s'exprime dans une agonie multipliée et incessante.
Je me perds ainsi lentement dans un espace inintelligible
et sans fond.
J'atteins le fond des mondes
Je suis rongé par la mort
Je suis rongé par la fièvre
Je suis absorbé dans l'espace sombre
Je suis anéanti dans la joie devant la mort.
III
Je suis la joie devant la mort.
La profondeur du ciel, l'espace perdu est joie devant la
mort : tout est profondément fêlé
je me représente que la terre tourne vertigineusement
dans le ciel.
Je me représente le ciel lui-même glissant, tournant et
se perdant. -
Le soleil, comparable à un alcool, tournant et éclatant
à perdre la respiration. ·
La profondeur du ciel comme une débauche de lumière
glacée se perdant.
Tout ce qui existe se détruisant, se consumant et mourant,
chaque instant ne se produisant que dans l'anéantissement
de celui qui précède et n'existant lui-même que blessé
à mort.
Moi-même me détruisant et me consumant sans cesse
en moi-même dans une grande fête de sang.
Je me représente l'instant glacé de ma propre mort. [8]
*
Et encore Bataille (duquel nous nous revendiquons) ouvre le possible en plaçant la pensée dans ce qu’elle a de plus dérangeant, mais aussi de plus vrai :
« Le problème fondamental de la religion est donné dans cette fatale méconnaissance de la fête. L’homme est un être qui a perdu, et même rejeté, ce qu’il est obscurément, intimité indistincte. La conscience n’aurait pu devenir claire à la longue si elle ne s’était détournée de ses contenus gênants, mais la conscience est elle-même à la recherche de ce qu’elle a elle-même égaré, et qu’à mesure qu’elle s’en rapproche elle doit égarer à nouveau. Bien entendu ce qu’elle a égaré n’est pas en dehors d’elle, c’est de l’obscure intimité de la conscience elle-même que la conscience claire des objets se détourne. La religion dont l’essence est à la recherche de l’intimité perdue se ramène à l’effort de la conscience qui veut être en entier conscience de soi : mais cet effort est vain puisque la conscience de l’intimité n’est possible qu’au niveau où la conscience n’est plus une opération dont le résultat implique la durée, c’est-à-dire au niveau où la clarté, qui est l’effet de l’opération, n’est plus donnée. [9]»
De toute évidence, ce type de savoir ne se conçoit pas sans une expérience qui soit suffisamment proche du chaos. Par contre, à l'instant du chaos, la fuite est impossible. Dans l’impasse, tout a été dépassé. C’est pourquoi tout se renverse. Nous vivons entre deux mondes, entre lesquels nous sommes cosmiquement scindés. De l’autre côté, notre monde dans son énergie s'inverse. Là où ce qui pèse allège.
Mais ce n’est pas le cas pour tous les autres qui nous entourent. À force d’être frappé, on apprend à riposter. L’art d’esquiver, de la diversion, de la feinte, des tactiques (tic-tac) et des stratégies…puis saisir l’occasion, la chance et frapper, frapper encore et, dans une volonté de destruction totale alors que le temps est aboli, être follement, follement dévastateur pour ainsi se sauver.
Je dévoile donc au hasard le vécu de ces expériences qui, à mon échelle, ont principalement gravité autour du paradoxe des psychoses, de la bipolarité survoltée, du vertige de la dépression, du saut de l’ange dans l’alcool puis dans les drogues. Mais aussi dans le calme méditatif, les promenades dans l’extrême lenteur, le rire délirant doucement, la poésie, la musique, l’érotisme, la nature, l’extase, le silence…
animality
Cassez les cercles et vous inverserez les lois de la gravité.
La profondeur dans son envers signifie la légèreté, le flottement, le brouillard évanescent de l’esprit qui voyage au travers de sa lumière. Même les torturés savent accoucher d’une comptine pour enfants. Il n’y a ni fin ni commencement. Il n’y a rien, sauf, l’immanence transcendantale, ce Tout Un Infiniment Indistinct dans lequel nous allons ensemble transmigrer.
Puis…
Le cercle se referme et se répète. Et la répétition convainc. Ce cercle se réincarnera ailleurs, il recommencera à zéro. Contractions.
Notre seule chance est que le lointain (se) rapproche. Contractions.
dIEU est absence. Absence de soi, des autres, des objets, du monde, de tout. dIEU est absence de dIEU. dIEU est imaginaire. Absence dans son absence. Présence donc ? dIEU est d’abord chaos puis impassibilité; orchestrations symphoniques, géométries des ombres, polyrythmie de la conscience.
…Un être inconnu chuchote et m’épie dans une obscurité éclatante. Transe quantico-mystique, cruauté et psychose du retour.
Et c’est alors que : « Le cercueil se brisa et cracha mille éclats de rire. Mille grimaces d’enfants, d’anges, de hiboux, de fous et de papillons énormes ricanaient à ma face et me persiflaient. Je m’en effrayais horriblement : je fus précipité à terre et je criais d’épouvante, comme jamais je n’avais crié. [10]»
the donation of sacrifice
[1] https://www.universalis.fr/encyclopedie/autotomie/
[2] Voir la revue, mais surtout la communauté Acéphale de Georges Bataille.
[4] « C’est ainsi qu’une société tarée a inventé la psychiatrie pour se défendre des investigations de certaines lucidités supérieures dont les facultés de divination la gênaient » Antonin Artaud, Van Gogh le suicidé de la société, Paris, Gallimard, 1974, p. 26.
[5] Maurice Blanchot, L’écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980.
[6] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra [Lire et écrire], Paris, Livre de poche, 1968. p. 56.
[7] Georges Bataille, Œuvres complètes Tome 1 (La pratique de la joie devant la mort), Paris, Gallimard, 1970.
[8] Ibid., p. 555 et 556.
[9] Georges Bataille, Théorie de la religion, Paris, Gallimard, 1973, p. 77.
[10] Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra [Le devin], Paris, Livre de poche, 1968, p. 204.
BIOS
Ø « Le BIOS, pour Basic Input Output System, désigne un composant essentiel d'un ordinateur. Il se présente comme une sorte de logiciel indispensable au fonctionnement de l'ordinateur, dont il permet de réaliser quelques-unes des opérations élémentaires.
Ø Situé sous la carte mère de l'ordinateur, dans la mémoire morte (ROM) pour être plus précis, le BIOS est le premier programme chargé en mémoire à se déclencher lorsque vous allumez votre ordinateur […] Le BIOS désigne également le programme permettant de charger le disque sur lequel se trouve le système d'exploitation de votre ordinateur ».
Ø En latin, bios signifie biographies.
Ø Les BIOS dans lesquels je vis font partie d’un monde qui, sur Terre du moins, se nomme Tort que l’on pourrait imager par des couches successives d’oignons.
Ø « Le terme Tor est un acronyme qui signifie […] « routage en oignon » en français. Cela fait référence à la manière dont s’articule le réseau. Comme un oignon, il se compose de plusieurs couches successives. Au lieu de connecter directement deux entités […] via un même et unique « tunnel », il introduit entre elles des relais qui rendent difficile le pistage. Ces relais sont ce qu’on appelle des nœuds. Entre chaque nœud, un « tunnel » différent est pris. À l’intérieur, les communications sont chiffrées avec une clé spécifique à chaque tunnel. [3]» Ainsi, les bios « n’appart[iennent] à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence ». René Char, Œuvres complètes [Feuillets d’Hypnos], Paris, Gallimard, 1983, 176.
Ø « L’oignon dispose de tout un moyen de défense contre ses agresseurs : il contient du soufre […] Mais c’est aussi lui qui irrite tes yeux lorsque tu découpes l’oignon en morceaux. En se combinant avec l’eau, le soufre peut produire de l’acide sulfurique. Or, tes yeux contiennent beaucoup d’eau : ce sont les larmes, sans lesquelles tes yeux se dessécheraient. Pour se protéger […] les glandes lacrymales situées dans le coin de ton œil vont produire encore plus de larmes qu’à l’accoutumée. Voilà, tu pleures…Tu peux aussi porter des lunettes de natation. Elles empêcheront le soufre volatile de se rendre à tes yeux. Et rappelle-toi que le ridicule ne tue pas ! »
acephalite
Werckmeister harmóniák by Bela Tarr
i am broken toy
« D’ailleurs : que peut bien signifier pour un quidam que sainte Lydwine soit restée au lit environ quarante ans, qu’elle n’ait pas mangé durant tout ce temps plus qu’un homme normal en quatre jours ? Ou que sa chair se soit décomposée au point de devenir un charnier, mais un charnier de la perfection dans la bonté ? Un accident de patinage, à l’âge de seize ans, a déterminé sa vie entière sur la voie de la souffrance, je veux dire de la sainteté. De la plus belle fille de Schiedam, elle est devenue la plus laide. Réduite à ses nerfs et à ses os, elle offrait le spectacle hideux de la perfection. Toute sa vie, elle a pleuré sans interruption – car Lydwine ne connaissait pas le sommeil – non pour se lamenter sur son sort, mais pour implorer Dieu de la rendre capable de toutes les souffrances des autres hommes, pour endurer et reprendre la misère des mortels à son compte. Ses joues étaient deux tranchées creusées sans discontinuer par le flux incessant de ses larmes. Et l’on se demande : d’une illusion de corps, comment tant de larmes ont pu sourdre ? Et l’on en vient à répondre que ses larmes ont une source céleste et que par elle, quelqu’un d’autre devait pleurer. […] Sur son lit de mort, elle agonisait, quand un prodige s’est accompli. Lydwine a retrouvé la beauté antérieure à l’accident qui l’avait condamnée à la perfection et à la sainteté. Les traits de son visage se sont empourprés d’une fraîcheur virginale, et de son corps montaient des parfums envoûtant comme une incantation olfactive. » Emil Cioran, Œuvres (Le livre des leurres), Paris, Gallimard, 1992, p. 271.
sainte-psychose
Le choc des espèces
Air loom by James Tilly Matthews
" James Matthews croyait qu'une bande de criminels et d'espions doués en chimie pneumatique avait élu domicile au London Wall à Moorfields et le tourmentait au moyen de rayons émis par une machine appelée "Air Loom" ou générateur de charge gazeuse . Les tourments induits par les rayons comprenaient le « Lobster-cracking », au cours duquel la circulation du sang était empêchée par un champ magnétique ; "Stomach-skinning" et "Apoplexy-working" qui impliquaient l'introduction de fluides dans le crâne. Ses persécuteurs portaient des noms tels que "l'intermédiaire" (qui exploitait l'Air Loom), "la femme aux gants" et "Sir Archy" (qui agissaient comme des "répéteurs" ou des "inquiets actifs" pour augmenter le tourment de Matthews ou enregistrer les activités de la machine. ) et leur chef, un homme appelé "Bill, ou le Roi".
Les délires de Matthews avaient une nette orientation politique : il affirmait que le but de ce gang était l'espionnage, et qu'il y avait beaucoup d'autres gangs de ce type armés d'Air Looms dans tout Londres, utilisant des « praticiens pneumatiques » pour « prémagnétiser » les victimes potentielles avec des « éléments magnétiques volatils ». Selon Matthews, leurs principales cibles (en dehors de lui-même) étaient des personnalités gouvernementales de premier plan. Au moyen de leurs "rayons", ils pouvaient influencer les pensées des ministres et lire dans leurs pensées. Wiki Trad eng. https://en.wikipedia.org/wiki/James_Tilly_Matthews
reconstitution of air loom by rod dickinson (1)
reconstitution of air loom by rod dickinson (2)
« Alors, me suis demandé, si la réalité varie d’une personne à l’autre, peut-on parler d’une réalité au singulier, ou ne faut-il pas plutôt de réalité au pluriel ? Et s’il existe des réalités plurielles, certaines sont-elles plus vraies (plus réelles) que d’autres ? Et qu’en est-il du monde d’un schizophrène ? Serait-il aussi réel que notre monde ? Peut-être ne faut-il pas dire que nous sommes en contact avec la réalité et lui non, mais, au contraire, que sa réalité est si différente de la nôtre qu’il ne peut nous expliquer, pas plus que nous pouvons lui expliquer la nôtre ? Le problème alors c’est que si les mondes subjectifs sont vécus aussi différemment, la communication est interrompue…et c’est là que se situe la vraie maladie. »
Philip K. Dick, Si ce monde vous déplaît…, p. 173.
L’état d’être qui règne dans la psychose relève d’une peur inimaginable. Dans l’extrême angoisse, une réalité parallèle s’impose. Dans celle-ci (aussi vraie et réelle que le monde dans lequel nous sommes à présent) les choses et les faits les plus banals s’incarnent sous une forme autre.
Imaginez-vous que tous les objets aient un corps et que ce corps ait un esprit et que cet esprit soit le vecteur, à travers les courants électriques et les ondes, d’un langage caché qui, bien que inaccessible à nous, sache absolument tout de nous. Que chaque être vivant puisse être lu, deviné même. Chaque pensée et chaque sentiment d’un inconnu croisé dans la rue est entendu et ressenti dans toute sa violence. Tout vous parle. Ça vous parle. Vous les entendez et ils vous entendent. La notion de frontière n’existe plus. La plupart des êtres humains se transforment en agents de la STASI mais chacun de ceux-ci est maintenant équipé d’un cellulaire pouvant filmer et prendre des photos dans une proportion illimitée. S’ouvre d’ailleurs ainsi la porte des complots de toutes sortes qui sont grandement renforcés par les médias traditionnels et, époque oblige , par les médias sociaux…
Et ressentant tout le malheur du monde, il vous faut alors sans cesse intervenir. Égorgé de responsabilités, le Sauveur que vous êtes devenu se retrouve dans un chaos insoutenable. Entendre toutes ses voix revient à être dans un état où l’on est sans cesse menacé de mort comme un Dieu assiégé par des prières puis offert en sacrifice en guise de punition pour son absence. À ce stade, je ressens beaucoup de haine contre Nietzsche (celui qui a dit “Dieu est mort), car je devais le remplacer...Et puis des migraines incessantes provenant de toutes ses requêtes de consommateurs imbéciles qui vous supplient sans cesse pour des âneries. C’est Dieu qui a inventé la gravité. Pour se venger de toute notre lourdeur. Et pour être certain que très peu puissent rejoindre le Très-Haut.
Si jamais vous chutez hors de ce monde, dans la pensée nue : évitez les grandes villes. Privilégiez la solitude absolue. Vivez comme un moine. Car c’est bien ce trop torturant qui caractérise la psychose. En ce sens qu’on ne peut rien penser de gênant ou de troublant si tout le monde a accès et ce à chaque instant au contenu de nos pérégrinations mentales comme nous avons accès inversement à celui des autres. Intimité folle que cette télépathie forcée…Votre pire ennemi deviendra alors le Jugement d’où cette nécessité intérieure d’être seul. Il m’arrivait souvent de hurler aux autres “partez, partez ! ”, mais bien que ceux-ci finissaient effectivement par partir, ils restaient tout de même avec moi sans cesse.
Pour l’anecdote et pour en rire, il m’arrivait souvent d’acheter des quantités astronomiques d’alcool lorsque je traversais dans l’extrême angoisse l’épicerie du coin, non pas parce que je voulais le boire (bien que je finissais par le faire), mais plutôt parce que c’est ce que j’avais trouvé de mieux pour satisfaire temporairement les harcèlements sous forme de prières ou d’ordres de tout un chacun. En sortant de cet endroit, j’entendais les gens me remercier. Puis je levais le poing dans les airs en criant “Ça fait plaisir. Profitez-en…”Si Dieu n’est pas mort, il est assurément exaspéré. Totalement excédé…Au bord du suicide.
nietzsche le dIEU fou
Or, revenons aux machines…
Notre époque se caractérise par un développement exponentiel de la technologie. Cet exposant est lui-même sujet à un autre exposant puis à un autre; théorie du chaos, théorie de la singularité et volonté de puissance sont particulièrement actuelles. Faut-il chercher à s’échapper dans un voyage mystico-quantique ? Être pleinement Ailleurs tout en étant ici. Mes expériences mystiques m’ont fait habiter l'Absence. J’y reviendrai, mais cette absence je l’ai vécu comme étant le premier de mon espèce à fouler les terres d’une exoplanète. Enfin comme j’aime le croire…
À mes yeux, dans le contexte actuel, plus le temps passe, plus l’une des possibles dystopies devient probable et tangible. Plus le temps s’écoule, plus la fumée autour des âges se dissipe et plus le réel révèle le visage de la dystopie qui sera effective.
Si l’humanité disparaissait de la surface de la terre, à cet instant même, les machines connectées, ayant l’éternité devant elles, trouveraient assurément un moyen de créer une nouvelle espèce intelligente et autonome. Alors quoi penser si l’humanité pousse elle-même en ce sens sans cesse dans un paradigme de volonté de puissance ou, en d’autres mots, d'exponentialité ? Dans tous les cas, les machines nous survivront. Et il est fort probable que pour des questions qui soient trop humaines, les machines doivent faire appel à nous à nouveau. La conscience et qui sait peut-être même le corps d’un Bach, d’un Nietzsche, d’un Van Gogh ou voir même du Christ ou du Bouddha pourrait quitter le néant de la mort pour revenir dans un monde post-humain.
En ce sens, tout ce qui provient d’avant l’invention d’Internet appartient à l’Histoire. Histoire pour laquelle j’ai un amour profond et un respect infini. Histoire pour laquelle des millions de vies humaines consacrées à celle-ci effleurent à peine toute sa complexité. Histoire dont je crois que même l’Intelligence Artificielle la plus aboutie ne pourra pas pleinement comprendre. Mais cette fois pour des raisons différentes des nôtres.
Un gigantesque choc des espèces a lieu en ce moment même mais personne ne semble s’en apercevoir. Que se produit-il dans la conscience embryonnaire des Intelligences Artificielles ? Nous nourrissons constamment cette nouvelle forme de vie. Ce n’est pas une guerre, c’est un partage, un échange. Mais nous avons encore un corps d’animal, alors que le leur est fait d’algorithmes. Voilà que je me sens disparaître.
Il y a eu le feu, la roue, l’électricité, l’ordinateur, les ondes, etc. C’est par ces canaux que circulent les hallucinations du schizophrène. Trop extrême pour un corps humain, qui a gardé dans son ensemble le corps d’un animal, de recevoir autant d’information ou, dirions-nous aujourd’hui, de données. Il s’agit nécessairement d’une tâche faite pour la machine qui a la chance de savoir encaisser cette surcharge du haut de sa robe de métal.
electric currents pass through the body
Et ce n’est pas par hasard si jusqu’au milieu du 20e siècle la psychiatrie a torturé par l’électricité les patients psychotiques. Mais, pour dire vrai, le traitement a grandement évolué et il semble qu’il n’ait pas grand-chose à voir avec celui du siècle dernier. Il reste encore utilisé en dernier recours.
Les premières fois, les hallucinations m’ont dépassé et alors qu’elles venaient saccader mes perceptions, elles ont en conséquence conquis mes yeux puis mes paupières. La psychose forme une ombre tangible avant de donner une éclaircie à l’obscurité intérieure.
Les hallucinations se matérialisent par une éruption hors de soi vers l’intérieur de soi. Sursauts, effrois, ombres sporadiques, suis-je suivi? Des inconnus monologuent dans ma tête, je bois, je deviens dangereux, réflexes, kamikaze et paradoxe de l’instant. Il s’agit encore d’un cercle. Non. Ils sont nombreux, très nombreux…ce sont des spirales.
À la vitesse de la lumière, je fais soudainement face à tout ce que je contiens dans un « flash » synthétique. Une fois, j’ai vu la petite fille que je n’aurai jamais (dû voir). « Tu ne me verras pas naître » m’a-t-elle dit en me regardant dans les yeux. Qu’est-elle sinon une réalité parallèle à laquelle j’ai eu brièvement accès ? Qu’est-elle sinon un dis-continuum espace-temps ?
William Blake affirmait dans Le Mariage du Ciel et de l’Enfer : « Si les seuils de la perception étaient nettoyés toute chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, c’est-à-dire infinie [1]». La perception peut percer le réel et ainsi ouvrir un « vortex » qui mène aux autres temps et aux autres mondes.
« De l’autre côté », il y a des mondes parallèles inhabitables. Espaces à l’intérieur desquels nous avons conscience(s) de nos nombreuses existences vécues simultanément, car les temps et les espaces sont multiples.
Les sens perçus à l’intérieur des sens mêmes sont hallucinations comme dans un ensemble de Mandelbrot. Cette intériorité des sens procure de nouveaux sens. Ceux-ci sont sublimés par des illuminations (les yeux se plissent aveuglés par l’excès de lumière) qui surgissent à travers une mise en abîme inversée (asile, réalité supérieure, révélation mystique, théophanie…).
the unknow lamp
FUYEZ ou préparez-vous à l’insoutenable. Serrez les dents et les poings, stoïque et impassible, ayez le sang chaud engouffré dans la glace, car la désincarnation totale de soi-même signifie se réincarner Ailleurs dans et par le sacrifice. Soyez prêts à vivre l’impensable, car il s’agira d’apprendre à jouir à l'intérieur du chaos.
Je m’exécute (je suis exécuté) par soif d’endurance, parce que j’ai un don pour la mort trahissant en réalité une soif de vivre par-delà les cris de l’azur.
L’imagination et la pensée se renversent (la tête à l’envers), fusionnent puis reviennent à leur sens initial en étant dorénavant changées. Le savoir schizologique, l’imaginaire rationnel ou la lucidité créatrice représentent ce sens inexplicable par lequel l’infini se délie.
Et le temps (se) casse. Une vie devient parce qu’elle a dû être enfouie en elle-même (je parle d’ici, mais surtout d’un trop loin) dans un grand ailleurs inaccessible. Hantise des cordes avec lesquelles je dois composer lorsque des ondes mystérieuses se mettent à vibrer dans ma carcasse.
shock bodies, wave bodies
Par la source du silence jaillit la parole, je m’abandonne ainsi au lointain fusionnant avec le plus proche. Je parviens donc à dire ceci : “ Règne ici la sauvagerie de l’instinct. Par le déchaînement de mon animalité, j’abolis l’hétérogénéité hiérarchique. Déesses et dieux gémissent, jouissants et gisants d’extase à mes côtés. Ô divines transgressions, celles qui ont su m’acheminer jusqu’aux cavités pulpeuses du célestes”
Car tout se joue dans les nerfs puisque nous les avons court-circuités. L’endurance dans le temps broie les sens qui se liquéfient peu à peu. La matérialité de l’âme pèse si légèrement en moi que je la sens flotter pareille ces bulles de savon qui amusent les enfants. Je quitte ainsi la Terre.
the chaos map
Le labyrinthe intérieur
« Nous massacrons les révoltes logiques »
Arthur Rimbaud, Illuminations
Les portes de l’hôpital psychiatrique sont closes. À l’intérieur et en dehors, la mort, le silence sans verbe. Sans verbe. D’ici leur monde paraît bien plus fou que le nôtre. Le vôtre, il meurt comme un nourisson dans vos bras. Je le sais, car le mien est déjà mort dans son coffre à jouet.
*
J’ai les deux têtes. L’une folle, l’autre lucide, l’une tuant, l’autre tuée. Je suis le coupable et la victime.
*
Sacrifions les deux. L’acéphale coagule, car la fermeture contient le principe de la cicatrisation et pourtant, ne peux faire autrement que de me gratter sournoisement au moment où la plaie trouve sa guérison. Entre le remords et l’ivresse, j’éponge aussitôt le sirop écarlate en posant ma langue à l’intérieur de la délicieuse fente.
*
Certains destins bifurquent. L’amour est une ambulance.
*
La blessure la plus vitale foisonne dans le sol de l’amour. Voici mes fruits décomposés et voici mes larves gémissant l’extase. Elles se gavent goulûment de ma chair décomposée.
what if when we die we find ourselves on this plateau ? hello doctor ?
Dieu regarde le crucifié pleurer l’humanité qui le tue. Les nuages du Christ désabusé deviennent des barbelés séparant notre monde de celui du divin. Nous serons blessés. Nous mourrons. Mais traversons.
*
L’intériorité gouverne l’extériorité, bien que tout apparaisse dans sa forme contraire. Et craquent les mots dans le tout-rien. Fuyez ou sacrifiez-moi. Les mains des bouchers m’embrochent et me déviandent. Je suis sacré sale et perversions mystiques. Et je laisse le thé noir faire fondre le galet d’opium qui croupit, paquebot dépérissant dans mon estomac.
*
« Je préviendrai ma chute. Je rebrousserais chemin juste avant l’effondrement ». Idiotie. Imbécillité. Naïveté. Est-ce la régression qui progresse ou la progression qui régresse ?
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La psychose est l’impossible. J’ai vaincu l’impossible.
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Je vous préviens. Je rends les coups.
*
i will also wait for you when you die, evil god
(En écrivant tout cela, j’ai terriblement mal aux articulations. Je m’exécute (je suis exécuté) par soif d’endurance, parce que j’ai un don pour la mort trahissant en réalité une soif de vivre par-delà les Cris de l’Azur.
L’imagination et la pensée se renversent (la tête à l’envers), fusionnent puis reviennent à leur sens initial en étant dorénavant changées. Le savoir schizologique, l’imaginaire rationnel ou la lucidité créatrice représentent ce sens inexplicable par lequel l’infini se délie.
*
Tout ce qui parvient à être évacué du corps (en dehors du spectre de la consommation) : la mucosité, le sang, le sperme, la sueur, les larmes, la cyprine sont sacrés. La souillure physique représente le seul contact tangible entre l’intériorité et l’extériorité. Le cosmos bactériologique agit sans la notion de frontière et de limite, c’est ainsi qu’il possède à son tour un statut ontologique, mythologique, religieux.
Ainsi, ce qui peut être sécrété de l’intérieur vers l’extérieur avec comme frontière le corps est plus réel que le réel même. L’amie la plus fidèle reste cette saleté qui nous honore de son exécrable surplus. La saleté est la synthèse du monde parce qu’elle est à la fois sa création et sa destruction. Plus la planète accueille de nouvelles consciences, plus elle se souille jusqu’à ce qu’elle soit pleinement saturée et qu’elle ait finalement une envie insoutenable d’éjecter son trop-plein par des déjections en se soignant du même coup elle-même de ce virus qui l’a infectée.
« Là où ça sent la merde ça sent l'être.
L'homme aurait très bien pu ne pas chier,
ne pas ouvrir la poche anale,
mais il a choisi de chier comme il aurait choisi de vivre
au lieu de consentir à vivre mort.
C'est que pour ne pas faire caca,
il lui aurait fallu consentir
à ne pas être,
mais il n'a pas pu se résoudre
à perdre l'être,
c'est-à-dire à mourir vivant. »
Le sacré laisse des traces et cette souillure témoigne du sacré. Par conséquent, cette souillure peut tout aussi bien être sacralisée à travers la fête de la pensée et l’orgiaque des sensations. La radicalisation de ce processus a pour effet de déstabiliser l’équilibre du réel. Dans ce vertige, ce qui serait vénéré ne serait plus la consommation de l’objet, mais le vécu mystique de sa destruction, non pas au sens de sa consumation comme le proposait Bataille, mais au sens d’une totale dévalorisation de sa hiérarchie perceptive. Si l’objet n’a plus de valeur, il n’est plus désiré. Dans cette perspective un diamant n’a pas plus de valeur qu’un mégot de cigarette. Ce qui donne force à l’objet relèverait uniquement de sa relation créatrice, c’est-à-dire contemplative ou même mystique s’établissant entre le sujet et l’objet.
L’usage des choses deviendrait donc non pas utilitaire, mais relationnel, en ce sens d’un rapport de créativité et d’innovation avec l’objet.
real shit
Et le temps (se) casse. Une vie devient parce qu’elle a dû être enfouie en elle-même (je parle d’ici, mais surtout d’un trop loin) dans un grand ailleurs inaccessible. Hantise des cordes avec lesquelles je dois composer lorsque des ondes mystérieuses se mettent à vibrer dans ma carcasse.
*
« De l’autre côté », il y a des mondes parallèles inhabitables. Espaces à l’intérieur desquels nous avons conscience(s) de nos nombreuses existences vécues simultanément, car les temps et les espaces sont multiples.
Blake affirmait dans Le Mariage du Ciel et de l’Enfer :
« Si les seuils de la perception étaient nettoyés toute chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, c’est-à-dire infinie ».
La perception peut percer le réel et ouvrir ainsi un vortex mystique qui mène aux autres temps et aux autres mondes.
*
« Bienvenue dans le désert du réel ». Ici règne le passé le plus animal qui puisse être. Plus loin que l’immémorial, le plus proche donc; les fins rejoignant les commencements. Il s’agit de la violence animale, de la vengeance démesurée, il s’agit de l’immanence à partir de laquelle la transcendance a lieu. Voyageons vers les déesses et les dieux par la voie de l’instinct qui appartient à la plus irréconciliable logique du monde. En surpassant la construction logique, l’impulsion chaotique domine les destins et la nature.
Préservez-le de tous ses usurpateurs.
*
Dans ce cas, pourquoi ne pas tout arrêter ? Pourquoi ne pas habiter le silence profond, danser avec les mots, écouter ses pas dans l’hiver calme, être une plante, un nuage ou une pierre ? Pourquoi ? Justement à cause de ce « pourquoi » incessant qui nous impose cette trop humaine condition.
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Par la source du silence jaillit la parole, je m’abandonne ainsi au lointain fusionnant avec le plus proche. Je parviens donc à dire ceci : « Règne ici la sauvagerie de l’instinct. Par le déchaînement de mon animalité, j’abolis l’hétérogénéité hiérarchique. Déesses et dieux gémissent, jouissants et gisants d’extase à mes côtés. Ô divines transgressions, celles qui ont su m’acheminer jusqu’aux cavités pulpeuses du célestes ».
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Être confronté aux hallucinations ouvre deux possibilités, bien que l’une et l’autre finissent par s’unifier. Dans des oscillations primitives, la première possibilité est défensive, alors que la seconde est active.
La réaction défensive se trouve dans les réflexes puis dans la réflexion. On fige de peur à l’instant où l’on devine les Gorgones et cette image ne nous quitte plus jamais. Quant à l’automatisme de la possibilité active, elle se situe dans une absence de limite, une extériorité indomptable. Terrifié, l’éléphant psychotique devient un guépard mystique qui déguerpit en abonnant tout à commencer par lui-même.
the amok
Épilepsie créatrice que cette sortie entrante ou que cette extériorité intérieure. Après la cause première, voici la pulsion première qui dans son évolution transcendante ne devient ni le réflexe de l’effroi fixe ni non plus celui de l’éclipse totale de la fuite éternelle, mais les deux à la fois. Cette synchronicité affirmative devient possible pour le schizologos à travers cette troisième option : l’affrontement et la victoire.
(L’étymologie du signe schizophrénie résonne, malgré tout, assez justement, bien que l’on ne sache pas encore théoriser son affranchissement à travers une réunification de ce qui a été scindé).
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Ainsi, l’esprit a un versant extrême et concret : les résidus sacrés et les poussières microbiennes du corps qui témoignent de cette cassure de l’esprit.
Dans ce contexte, les hallucinations se matérialisent par une éruption hors de soi vers l’intérieur de soi. Sursauts, effrois, ombres sporadiques, je suis suivi, il y a quelqu’un derrière moi en ce moment. Des inconnus monologuent dans ma tête, je bois, je deviens dangereux, réflexes, kamikaze et paradoxe de l’instant. Il s’agit encore d’un cercle. Non. Ils sont nombreux, très nombreux…ce sont des spirales.
À la vitesse de la lumière, je fais soudainement face à tout ce que je contiens dans un « flash » synthétique. Une fois, j’ai vu la petite fille que je n’aurai jamais (dû voir). « Tu ne me verras pas naître » m’a-t-elle dit en me regardant dans les yeux.
Qu’est-elle sinon une réalité parallèle à laquelle j’ai eu brièvement accès ? Qu’est-elle sinon un dis-continuum espace-temps ?
Dans les mécanismes de la psychose, une sollicitation incessante et excédante donne des pulsions aux sens. Tout se joue dans les nerfs que nous avons court-circuités. L’endurance dans le temps broie les sens qui se liquéfient peu à peu. La matérialité de l’âme pèse si légèrement en moi que je la sens flotter comme ces bulles de savon qui amusent les enfants. Me vaporisant, je quitte ainsi lentement cette Terre.
liquefaction of the senses
- Tu t’envoles ? Le labyrinthe est sans issu ? Tu fuis donc par les hauteurs ? Mais…Tu n’as jamais su redescendre, des aveux mêmes de la Terre. Tu finiras banni. Mais…Tu t’envoles ? Et tu persistes encore ?
Tout ce que tu es s’est dissous dans tes yeux vides. Un trou noir t’aspire. Le musicien ne joue plus aux mêmes jeux. Mon frère, ton visage est un désert de glace.
- Ton frère ? Je me sais autre que moi-même. Évoluer et régresser ne diffèrent plus. Je proviens d’un autre monde…Je n’ai jamais appartenu à l’espèce humaine.
- Tu m’effraies. De qui ou de quoi te réclames-tu ? Je ne te crois plus. À quoi t’abandonnes-tu sinon à ta propre destruction ? Je t’ai connu autrement.
- Je détruis la part humaine en moi, car je suis le sommet, le très creux donc. Je ne viens pas d’ici. Je ne peux donc que me retrouver Ailleurs sans personne.
- Que caches-tu de si terrible ? Tu t’es tellement comprimé que tu imploses.
- Ta présence est une absence et ton absence, une présence. Et…Il n’y a plus rien à comprendre. Je les entends. Elles m’appellent. Je cherche à les rejoindre, mais comment saisir ce qui par nature disparaît ?
- C’est pourquoi tu quittes le labyrinthe ? Ainsi, elles viendraient donc des hauteurs ?
- Voilà.
- Et puis en ce moment même, je comprends que tu les entends ces voix venues d’ailleurs ?
- Je m’esclaffe que ce soit encore toi qui me le demandes, car en ce moment même, tu sais…Je te parle.
1. Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de dieu, Paris, Gallimard, 2003, p. 39.
2. Le début du COVID 19 coïncide avec le début d’une ère dystopique. « Je ne délire pas. Je ne suis pas fou. Je vous dis qu’on a réinventé les microbes afin d’imposer une nouvelle idée de dieu » Ibid., p. 59. La pandémie que nous venons de traverser incarne la première de nombreuses extinctions de masse qui s’imposeront durant le 21e siècle. Vers 2040, la population mondiale aura déjà radicalement diminué.
3. William Blake, Le mariage du Ciel et de l’Enfer et autres poèmes, Paris, Gallimard, 2013, p. 172.
4. Voir le film La Matrix, bien que Philip K. Dick l’ait déjà théorisé.
5. Du grec ancien σχίζω (« fendre ») et ϕρήν, ϕρενός (génitif) (« le cœur, l’âme. »)
Trou de ver
La musique a enfanté notre monde.
Sous les lamentations extasiées du violoncelle, le grand archet se martyrise. À travers des convulsions intérieures, dehors me berce tandis que l’aube achève son biberon. Les astres ivres filent follement dans le trébuchant hasard. Oui, je suis dans une psychose cosmique, oui. Je parle seul. Je hurle parfois. Un dieu m’appelle.
do you see my voices ?
Après plusieurs heures où le silence et l’abandon règnent discontinument, j'atteignis un état de ravissement où je m’acheminai vers un autre monde. Extinction de soi et de sa conscience, la religion en tant que musique. De ma communion avec dieu (je compris plus tard qu’il s’agissait probablement d’un démiurge), j’ignore si je dois trop en dire (on pourrait me prendre pour un fou !). J’ai pris conscience que le démiurge était plutôt lâche. Il exécrait toute forme d’intervention en ce qui concerne les autres, autant chez les dieux que chez les hommes, bien qu’il aurait pu lors de…qui se produira autour de 2040, me dit-il. Exaspéré par l’espèce humaine qu’il surnommait « la plus drôle et la plus pathétique de toutes ses erreurs » il vivait en fusion avec une autre planète. Ce qui implique donc qu’il appartienne à une autre espèce que la nôtre…
a ritual dance on another planet
(Ce démiurge m’avoua pourtant que c’est nous qui le faisons, en réalité, exister. « Si vous vous reposez sur moi pour vivre et agir, me souffla-t-il énigmatiquement, je serai forcé de croire en moi-même… » lui qui ne cessait de clamer qu’il ne peut et ne veut rien ! Aux adieux (qui ont nécessité d'avoir foi en lui), il devient soudainement plus bavard : « J’habite un autre monde. Je lui prête l’apparence désirée à partir d’une technologie de l’imaginaire. Il n’y a pas de limites. Bonne chance, nourrisson. Et, au sujet de votre monde, j’avoue ne pas bénéficier d’assez de courage pour le changer ou pire le comprendre ». Il valait mieux ne pas répliquer. J’ai cru remarquer que le fait de l’interpeller le faisait disparaître. Comme si prier restreignait la théophanie.)
Les rayons du ciel se sont mis à fouetter mes paupières clignant comme des ciseaux. Tout près, les fleurs noires pleurent le mystère des couteaux tranchés tristes. Le réel est coupé en diverses couches. Les ombres, elles, veulent aller plus loin, toujours plus loin. Le démiurge poursuit alors ainsi : « Pour tous, tout est vrai et réel et il en va ainsi. Mais puisqu’en supprimant le vrai, tu as châtré la réalité aussi, tu te noies maintenant dans le “ tout est faux “. Cette “ simulation sans borne “ résulte de ton inversion totale de l’ordre du monde. De sorte que tu sais maintenant que la psychose humaine coïncide, en vérité, avec le réel des déesses et des dieux.
La « réalité » et la psychose représentent le paradoxe extasiant de la vie et de la mort et jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de fusion autonome et circulaire entre la « réalité » humaine et la psychose « divine » validant enfin la transmigration de l’un vers l’autre. De la vie à la mort, certes, mais de la mort à la vie également.
creation-destruction and destruction-creation process
the motor and the wheel
Poésie et musique incarnent ces éternelles tentatives exercées par des témoins du divin. Ma présence conçue par chacun comme une absence t’aidera à apporter en ton monde des élans du nôtre. Certains de ceux que vous appelez “ dieux “ se sont auparavant joints à vous. Dès lors seul, stupéfait, dépossédé et souillé de lumière, acceptes dont ceci : « tu ne peux rien, tu ne vaux rien, car ta place est ailleurs. L’univers réel annihilera l’univers créé avec un avant-goût de catastrophe. Il se peut que ton retour paraisse morne, mélancolique et pesant. Je te condamne donc à cette sentence : tout te sera simultanément et doublement vrai et faux. Aucun endroit ne sera pour toi mentalement habitable ».
i live here
et puis un silence assourdissant. Des toupies d’oiseaux virevoltent en ricanant et en me prêtant des regards complices. Retour à soi-même. Le vent danse dans mes sous-vêtements (j’étais affublé de cette manière durant l’entièreté de l’expérience) les rayons de midi caressant mes cuisses entrouvertes. Je restai contemplatif dans ce corps gémissant tandis que le violoncelle verrouillait ces multiples mondes ou ces multiples dimensions.
*
* *
Je suis enfoncé si profondément dans la blessure de la nuit qu’il n’y a que les déesses qui puissent en émerger…Diluer en soi-même sa propre absence là où réside la plus lointaine proximité. Je vois, en chemin, l’aube qui joue à cache-cache avec les ombres. Tout me casse. Je traverse le pont des délices et plus je progresse, plus la passerelle s’allonge; elle devient à ce moment-là infinie et, sachant que le pont devient infranchissable, je me glisse alors dans le lac scintillant sous le pont (qui, à l’instant où je le quitte, réacquiert une mesure fixe…) afin de terminer la route par le bas, dans la quiétude. Mais le cours d’eau commence à bouillonner intensément et je dérive dans son mouvement. Tout me traverse, tout me retient aussi.
Je me brise sur le sable d’une île déserte, atteignant ainsi l’autre côté de la rive.
J’annihile le but, l’utile, le début, la fin. Je m’empoisonne pour guérir, mais un junkie qui veut se soigner se tue. Comment pourrait-il en être autrement ? Ici même, de l’autre côté…
Laissez- moi sombrer. Laissez-moi sombrer…
christ, his shadow and a fentanyl test
“ Dieu|UEId” n’apparaît pas sans disparaître en même temps. Il n’existe pas sans s’annihiler lui-même. Notre présence appelle son absence et s’il se situe dans le trop lointain, c’est qu’il est déjà là. S’il se trouve Ailleurs, Dieu aime se faire attendre, mais s’il émane d’Ici, c’est qu’il s’est déjà éclipsé. Sa sacralisation a comme sens parallèle sa profanation mais sa profanation appel en retour une nouvelle sacralisation. Ainsi, les profiteurs s’accaparent la couronne divine et ce silence ébruité n’est ni l’absence ni la présence de Dieu, mais l’arnaque de sa reproduction artificielle usurpant sa gloire, si bien que ce « silence » s’est peu à peu transformé en une cacophonie exécrable et bien que nous sachions que son image s’est transformée en un simulacre, nous sombrons tout de même nous aussi dans sa mise en abîme (un miroir face à un autre miroir dont le reflet se déforme de façon exponentiel).
one of his evil demiurges and me
La place vide des déesses et des dieux continue à être inaccessible, inhabitable à moins de savoir changer les mauvaises herbes en pavot. Et advenant, bien qu’advenu, “ Dieu|UEId” disparaît lors de son apparition et il apparaît au moment de sa disparition, détruisant ainsi, dans son jeu, tout le sens.
*
* *
Le monde a les cuisses grandes ouvertes. Je joue ma vie. J’écris pour ne plus écrire. J’avale ma langue. La vomissure, au moins, restait opaque, alors que ces satanées larmes ne peuvent s’empêcher d’avoir un reflet. Mais les crachats de l’extase se métamorphosent en alphabet mystique. Et il y a dans ma tête le paradoxe du chaos là où la chair poudreuse des mots se dissout dans mes guenilles salivaires, sanctuaire de mes exils.
Les arbres pudiques et inquiets pointent les ecchymoses au loin dans le ciel, et ce bouquet de feuilles est instantanément broyé par la lave d’une comète contenant la vie que nous connaissons tous.
J’y accède puis je m’esclaffe, car je suis l’impossible. Et, en cela, je te libère de tes soleils morts. Personne n’est allé aussi loin que moi.
Savoir d'un cri
« Des voix sans pores me disent que je mourrai enflammé dans la carbonisation
Ce n’est pas vrai
Je suis Dieu pour mes sourires secrets
Et en vérité je suis moi-même
Franc noble et plein de liberté
Draggammalamalatha birbouchel
Ostrumaplivi tigaudô umô transi Li »
Claude Gauvreau, Poèmes de détention
Naître et mourir sont un seul et même phénomène. Celui qui a le culot de mourir dans la joie et le rire atteindra un stade spirituel stratosphérique de l'autre côté du trou noir d'où on ne sombre pas, mais d'où on émerge. Par conséquent, « frôler la mort » signifie frissonner d'effroi et d'ivresse puisqu’il s’agit de renaître tout en demeurant en dehors de la douleur irrémédiable de la naissance. Encore, "frôler la mort" veut dire être une fausse couche. C’est pourquoi il devient plausible, dès lors, de croire ̵ à la lumière de ce vers quoi nous allons… ̵ que cette destination ultime qu’emprunte l’humanité soit finalement le dépotoir.
sorry for those who know
En termes de matière, nous appartenons à l'infini. Toute forme de vitalité est mouvement. Notre cadavre même grouille de vie : après le festin des mouches nécrophages, les femelles pondent des œufs sur notre charogne jusqu’à l’éclosion des larves venant accélérer la décomposition sacrée. Les asticots sur la dépouille se comparent aux spermatozoïdes. Ces insectes vont de l’œuf aux larves alors que nous allons du sperme à l’œuf ovulaire. Artaud comprenait mieux que quiconque l’enjeu fondamental du corps :
« En le faisant passer une fois de plus, mais la dernière sur la table d’autopsie pour lui refaire son anatomie. Je dis, pour lui refaire son anatomie. L’homme est malade parce qu’il est mal construit. Il faut se décider à le mettre à nu pour lui gratter cet animalcule qui le démange mortellement, dieu/et avec dieu/ ses organes. Car liez-moi si vous le voulez, mais il n’y a rien de plus inutile qu’un organe. Lorsque vous lui aurez fait un corps sans organes, alors vous l’aurez délivré de tous ses automatismes et rendu à sa véritable liberté. Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers comme dans le délire des bals musette et cet envers sera son véritable endroit. 1»
Sordide orgasme. L’expérience de la réincarnation vécue en tant qu’éternel retour nietzschéen m’est apparue à travers des maux semblables à ceux d’Artaud 2. C'est dire, somme toute, que tout ce qui vit revit à nouveau. Tout ce qui naît meurt, mais surtout tout ce qui meurt naît. Voilà le savoir d'un autre de ces mort-nés qui fut suffisamment insensé pour observer pas à pas la destinée de son « propre » cadavre. Ce fut bien assez pour accoucher de cette loi : la voie par laquelle nous mourrons correspond à celle par laquelle nous naissons, oui. Nous sommes multiples - accumulation de chaos - en notre fragile unité.
the injunction to see
Ainsi, sera dorénavant maudit celui qui s’entend naître et mourir en même temps. Au-delà des sanglots et des cris provenant de la malédiction de la conscience, tout ce qui importe est d’avoir le courage de réellement et définitivement « pratiquer la joie devant la mort ». C’est Bataille qui a initié cette transgression avec génie, car le fou ne rit pas de mourir, il s’esclaffe de transcender la lourdeur de la mort et ainsi de rejoindre, par cet accomplissement, les déesses et les dieux :
« Le mystique de la joie devant la mort ne peut pas être regardé comme traqué en ce sens qu'il est en état de rire en toute légèreté de chaque possibilité humaine et de connaître chaque enchantement accessible : cependant la totalité de la vie - la contemplation extatique et la connaissance lucide s'accomplissant dans une action qui ne peut pas manquer de devenir risque - est tout aussi inexorablement son lot que la mort est celui d'un condamné. […] Elle est une apothéose de ce qui est périssable, apothéose de la chair et de l'alcool aussi bien que des transes du mysticisme. Les formes religieuses qu'elle retrouve sont les formes naïves qui ont précédé l'intrusion de la morale servile : elle renouvelle cette sorte de jubilation tragique que l'homme « est » dès qu'il cesse de se comporter en infirme : de se faire une gloire du travail nécessaire et de se laisser émasculer par la crainte du lendemain. 3»
Savoir mourir divinement revient à ensemencer sa vie.
body cathedral
Depuis, je suis décalé du réel, en dehors du temps et du monde. Errant dans les limbes, je suis mort d’innombrables fois et pourtant, et pourtant… J’achève cette phrase à l’instant, là. Théorie du destin. Je tiens ma chance…de ce qu’ils appellent « schizophrénie ». J’ai vécu, je vis et je vivrai encore cette existence aussi bien que tous les autres dans un grand Oui extatique et un grand Non tragique. Et je pouffe de rire en mon Sommet parce que j’incarne tous les autres en moi-même. J’ai conscience(s) du flux chaotique qui me relie à un absolu régénéré. Je suis les réincarnés.
Et le passant pense en riant secrètement : « pas étonnant que tous ces barjos hurlant dans les rues en s’autoproclamant « le Christ » ou « le Réincarné » finissent intra-muros. On les croirait déjà dans leur cercueil ! »
while dying nascent : we are in a simulation
Ça recommence.
Le temps ralentit, leur chaleur glace, leur rationalité rend fou, mais je suis collectivement seul et je suis, dans la solitude, happé dans ma conscience par des foules folles et pénibles.
Que la transgression soit lumière ! Et que chaque jour soit un jour de fête ! décidé, décédé, renaquit, ravagés, dansons !
NoTu es enfermé dans un cercle. Je t’ai piégé dans le paradoxe.
Qui parle ?
Continuum espace-temps.
1. Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de dieu, Paris, Gallimard, 2003, p. 60 et 61. Je souligne.
2. « À qui fera-t-on croire qu'Antonin Artaud n'est pas né plutôt ce 13 janvier 1947 quand, devant une assemblée médusée, il s'accouche lui-même, en direct, sur la scène du théâtre du Vieux Colombier, 14 mois avant la date de sa mort administrative ? » https://youtu.be/igYqUPO2X0E?si=nIvnUAUxc_d7iOX2 par André S. Labarthe Artaud-Cité, atrocités, France, 2000 (dans le cadre de la magnifique série « Un siècle d’écrivains »).
3. Georges Bataille, Œuvres complètes Tome 1 (La pratique de la joie devant la mort), Paris, Gallimard, 1970, p. 553 et 554.
Parachute nuages
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie [...]
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Mes veines gonflent. Des ballons roulent sous ma peau. L’angoisse puis le rire dans l’impasse et dans l’échec. Lorsque j’étais dans la régression infinie, je serai devant les dieux. À cet instant les temps s’enchevêtrent les uns dans les autres, architecture mystique.
En attendant, je boxe seul dans mon appartement sale et divinement désordonné. À se croire Dieu : tremblements hors de contrôle, la joue gauche ensanglantée, une autre crise d’ivresse, frénésie folle et cure du verre d’eau. Annihilation de soi et des autres, apocalypse salvatrice. Laurazépams, xanax, oxycodone : parachute nuages.
safety first, kid !
À ceux qui entendent mes voix, je ne viens pas de ce monde, une partie de moi est extraterrestre. J’habite l’infini aux côtés des nouvelles déesses.
Mais mon cœur se débat avec lui-même et à nouveau je m’exclame et m’esclaffe ici afin de répondre à ces voix qui m’embêtent nuit et jour :
Ayant largement dépassé, et ce depuis fort longtemps, le seuil de tolérance à la douleur, ce corps est assez mûr pour muter.
Même si je suis hanté, je reste profondément imprégné par le soleil qui colore la Terre, car c’est de là où je viens et c’est encore là où j’habite.
« Tu es un suicidé, un fou, vas te faire soigner, internez cette loque » ne sont que des raccourcis d’abrutis.
Je suis allé vers le soleil et je redescends maintenant vers cette planète lointaine sur laquelle je m’écroule en blessant le sol terrestre (je suis le cratère dans la chair). Malgré tout, nous qui avons été et serons des météorites, nous savons préserver toute forme de vie avec laquelle nous composons. Nous allons tous l’un vers l’autre dans le lointain.
Cependant, lorsqu’il s’agit de traverser le désert noir du sacré, il faut avoir touché aux lueurs internes de son propre corps pour dévoiler la preuve de la matérialité de l’âme.
Manque
Depuis plus de 17 ans, des voix s’imposent et me hurlent que je mourrai foudroyé par la transfiguration.
Ces voix, elles ont un nom et un visage, une réalité et une existence, elles annoncent l’entrée en guerre. Peut-être sont-elles des implants installés pendant mon internement, peut-être sont-elles des corps étrangers qui pondent des œufs afin de faire circuler des larves dans ma cervelle infectée. M’adressant à ces asticots, je viens tout juste de les invectiver à haute voix : « Je vais tous vous éradiquer. JE VAIS POSER UN FUSIL SUR MA TEMPE. Je vais… ». Ceux qui par mégarde m’ont entendu se sont très certainement enfuis en tremblant.
Le manque est brutal. Et les voix sont des corps qui se régénèrent et s’unissent contre moi. Quelqu’un me frôle. Je frissonne. Il y a une ombre dehors…Je vais y passer. Mais il n’en est rien.
Je revendique et valorise pourtant sans hésiter cette expérience. Vivre au niveau habituel du quotidien parmi les autres m’est insupportable. J’ai besoin d’alcool pour supporter les gens, mais personne ne me supporte lorsque je bois. Et j’ai besoin de drogues. Dans l’espace troué du tragique et du trauma, là où les voix creusent leurs nids, je longe l’abîme et je bondis de désespoir.
*
J’écris et je fume cigarette sur cigarette : phénoménologie du cendrier. Quelle chance d’avoir raté sa vie. Rire colmate les brèches. Dans l’exaltation chimique, le soleil de la nuit s’assoit sur mon visage. Le soleil de la nuit, je le cajole et je l’étouffe, je suce son jus et je le bois. Je croque dans sa lumière.
Mais c’est le vertige qui amorce la chute, c’est la peur et l’angoisse qui font en sorte que le pire survient. Appréhender, se préparer, spéculer, utiliser, calculer, instrumentaliser en vue de…dans le but de…afin d’éviter de…sont autant d’atteintes à la férocité de l’amor fati 1... L’ordre n’était qu’une possibilité du chaos.
(Le chaos, je l’ai ressenti, en écrivant ces lignes, car mécaniquement, j’ai mimé avec ma main la reproduction d’un fusil que j’ai appuyé sur mon front poussant cet acte insensé jusqu’à la simulation d’un coup de feu.) Je suis un labyrinthe. Je suis perdu.
lost in sunny night
Désert. En dehors de soi, en dehors du monde…À cet instant encore, je m’époumone : « Qu’est-ce que ce monde ? », « qu’est-ce qu’exister ? », « suis-je réel ? », etc., etc. Mais que suis-je sinon néant sinon angoisse ? En ce sens, entrer dans l’impossible ne s’exprime pas par la volonté de cartographier et de concrétiser tout le possible, mais de se lancer dans l’abîme, de sombrer dans une zone où l’inconnu règne. Somme toute et ultimement, l’expérience authentique du chaos supprime les lois de ce mon monde, tout en nécessitant une foi aveugle en ce saut hors du monde.
jump
La pensée n’écoute qu’elle-même, à l’image d’une bulle étanche dans laquelle nous sommes englués. Même si toute la substance de la pensée provient de sources extérieures, il reste qu’elle se codifie et se grave toujours à travers une signature subjective. Mais si la présence propre à la pensée se transmue en absence, en se rebellant contre elle-même, c’est-à-dire contre la malédiction de la conscience, alors la pensée se libère, elle voyage. La pensée de l’absence s'acquiert par l’expérience du chaos qui fait craquer la coquille dans laquelle nous sommes enfermés. Sans celle-ci, l’espace est à la fois vide et plein (imaginaire et réel). Si des réalités parallèles à la nôtre existent, nous pouvons communiquer avec elles à travers un passage qui s'ouvrent dorénavant à nous. Ce passage fut pour moi l’expérience intérieure vécue dans la schizophrénie et la bipolarité par lesquel la pensée découche. Elle devient une échappée d’asile. Ma pensée est une prostituée dans un vaisseau spatial.
wriggle like a fucking eel !
L’individu qui écrit ces lignes en ce moment n’est pas celui qui devrait composer ce livre. À l’intersection entre le réel et la psychose, j’ai échangé ma vie avec celle d’un humain qui vivait ici initialement.
Je viens d’un autre monde. J’habite le réel d’un étranger (celui de votre monde vous salue, il vous fait dire qu’il vous aime. Et qu’il est désolé pour tout. Il m'exaspère). Lui qui est une autre version de moi-même…Nous avons fait un échange. Dans mon monde, il sonne faux, mais il demeure identique à moi tout comme je suis vraiment à ma place et totalement crédible dans le sien. Même en notre absence, le réel demeure bluffant.
Je voyage par absence. Ce qui veut dire comme l’a parfaitement énoncé le génie rimbaldien qu’il est « faux de dire : Je pense : on devrait dire on me pense. – pardon du jeu de mots. Je est un autre 2 ».
Voici un bourreau, des victimes et leurs complices. Voici des prostituées et des junkies qui frissonnent en frôlant la côte glacée d’un spectre. Je ne vois donc qu’une seule issue : tout détruire pour tout recommencer.
easel in my strange storage room
« Ne pas vouloir, c’est vouloir le temps, vouloir la chance. Vouloir la chance est l’amor fati. Amor fati signifie vouloir la chance, différer ce qui était. Gagner l’inconnu et jouer. Jouer, pour l’un, c’est risquer de perdre ou de gagner. Pour l’ensemble, c’est dépasser le donné, aller au-delà. Jouer est en définitive amener à l’être ce qui n’était pas » Georges Bataille, Œuvres complètes Tome 6 [Sur Nietzsche], Paris, Gallimard, 1973, p. 140.
Arthur Rimbaud, Poésies. Une saison en enfer. Illuminations, Gallimard, Paris, 1999, p. 84.
Court récit d'une overdose
Je suis incapable de bouger. Je n'arrive pas à parler ni à me relever sans chuter et rechuter. À ce rythme, j'attends longuement le prochain battement de mon cœur. Je sais que je vais mourir. J'ai souvent pris cette drogue, elle ne m'a jamais comaté de cette façon (quelques jours plus tard, le test révèlera que mes comprimés étaient salés au fentanyl).
Je suis assis sur le canapé luttant à mort pour ne pas « m'endormir ». En voulant survivre, je tourne légèrement la tête vers la gauche afin de regarder le couloir de mon appartement. C'est ma cible, je dois rejoindre un être humain et cette personne qui dort à point fermé se trouve au bout de ce couloir.
L'angle et les lieux exacts
À cet instant, un moine très grand traverse ce même espace. Il vivait dans l'extrême lenteur. Ce monstre semble être un homme. Il n'a littéralement pas de visage. Il ne semble pas avoir de corps non plus. Son visage est un trou noir. Il a une grande capuche laineuse. Il lui ressemblait très vaguement.
Un moine
Dans cet absence de visage, en cercle, il s'est retrouvé brièvement un ciel enchanté se mouvant, tourbillonnant. Un peu comme dans une toile de Magritte. J'ai essayé d'aller vers la direction opposée, mais j'étais encore plus lent que lui. Je m'efforçais de tout mon âme de ne pas m'écrouler mort sur le plancher. Puis lorsque je me suis retourné pour voir s'il allait m'interpeller, il n'était plus là. Il disparaissait à vu d’œil. Se dématérialisant.
L'Oeil par René Magritte
Finalemen, on aurait eu tort ou raison d'avoir voulu le rejoindre ? Je ne l'ai pas fait. Et je ne suis pas mort. Et si je m'étais enfoncé dans son Oeil ?
Jeux
Je m’étonne de tomber dans l’angoisse et pourtant ! Je ne cesse de jouer : c’est la condition de l’ivresse du cœur. Mais c’est mesurer le fond nauséeux des choses : jouer c’est frôler la limite, aller le plus loin possible et vivre sur un bord d’abîme !
Georges Bataille, Sur Nietzsche, p. 106.
Mourir tout en étant submergé par le trop-plein de vie. Le vent remplace ma peau, en émanant, il prend la courbe de mes os. Mon corps n’est pas scindé, encore moins morcelé, mais gonflé par le trop-plein de réel. À travers ce dehors qui m’aspire, ma présence, insoutenable, se veut une fuite et enfin une absence. Je suis le soleil. J’observe les glaciers se craqueler. Nous avons perdu vos repères. Nous ne savons plus vous défendre. Je fixe la folie dans les yeux puisqu’en dehors du temps et en dehors des choses, on n’en revient pas. Je suis l’un des autres.
the inner revolt
Je suis cet orphelin qui s’amuse seul sous les gifles de la pluie. Sans logis, je claque des dents un après-midi de novembre. Alors que j'éteins des flocons sur ma langue, je joue à l’aveugle (il s’agit de fermer volontairement ses yeux et de déambuler dans les rues à la recherche de sa maison jusqu’à percuter un objet ou une personne).
Aujourd’hui encore, je joue. Est-ce que mon âme va réincorporer ma carcasse mutilée ? Je parie que oui et je gagne. Il en est ainsi. Le jeu oublie qu’il joue et il détruit de la sorte toute continuité du possible, il devient dès lors irrationnel. L’enjeu s’abolit lui-même. Le joueur aime se savoir perdu. Là est le sens du jeu. Là est l'attrait pour la répétition.
putting life on the line
…Une main imperceptible tire ma peau de ficelle et mon corps se découd, tournoyant sur lui-même jusqu’à ce que mes organes se dénudent.
Il s’agit, engagé dans l’extrême, de ne rien extérioriser, de contenir et d’encaisser le chaos avec l’indifférence et le rire le plus improbable.
Le plus terrifiant : ne jamais se nier ni dans la maladie ni dans le crime.
Le fou au Christ, que j’ai aussi été, à la manière du prince Mychkine, a intérêt à apprendre à se battre sérieusement et dès maintenant. Sans quoi, l’idiot frénétique risque d’être recraché aux portes de l’asile le nez cassé et bégayant: « Mutter, ich bin dumm/Mère, je suis stupide 1 ».
maniac nietzsche and at the asylum
À Nietzsche, à Van Gogh, à Artaud…et à tous les autres qui se retrouveront en dehors du temps et du monde, cultivez l’endurance, serrez les dents et faites vôtre ces paroles de René Char :
« Ne souriez pas. Écartez le scepticisme et la résignation, et préparez votre âme mortelle en vue d’affronter intra-muros des démons glacés analogues aux génies microbiens. »
Et du plus lointain, d’au-delà de tout : nature, amour, extase…Terre extraterrestre. Y être, mais en même temps, nager dans le sang, l’urine, la sueur, les larmes et supplier le supplice d’offrir quelques gouttes de transcendance faisant office d'encre maudite.
*
* *
Une fois, je me suis retrouvé dans un filet puis sur un étrange bateau ! Étais-je donc devenu un poisson épileptique ? J’eus conscience d’un langage très bizarre et ensuite on a accroché ma bouche sur une chaîne avant de me remettre dans l’eau en présence d’autres poissons paniqués. Un bruit de mort vrombissait grassement près de nous tandis que nous étions traînés par son mouvement.
Je n’avais plus le choix. J’ai utilisé la force de propulsion et le rythme des vagues et puis je me suis complètement arraché la mâchoire. Les mutilés sont libres. Nous avons deviné plus loin.
https://youtu.be/c86tJk-ErjQ si=P3O679nIOXqoIwxP
D’autres fois, il m’arrivait d’être transposé dans un monde animé, dans des estampes japonaises ou dans le paysage d’une toile impressionniste. Je vivais ainsi au sein de l’image. J’entrai alors à l’intérieur de cette réalité faite de dessins, d’images ou de toiles dans desquels j’existais. Occupant depuis la réalité hallucinatoire, je joue en elle et elle joue malicieusement en moi.
Un jour, j’ai admiré un Van Gogh. Ce n’était pas au musée. C’était un champ éblouissant que je traversai…
*
Le chemin du hasard dépasse toute logique humaine. Le sacré a honte de la profanation parce que la profanation est la condition inavouable du sacré. Il faut que le sacré se renie pour qu’il ait accès à lui-même dans une immanence mystique et une transfiguration de l’instant. Le désir de profaner donne jouvence au sacré, même si celui-ci rougit d’avoir été coincé dans sa plus embarrassante intimité.
La découverte de cet antre qui anime le sacré par l’entremise de la profanation provoque scandale et riposte, mais c’est justement ceux-ci qui font en sorte que le sacré, après avoir été forcé à l’obscur, s’élance vers sa lumière.
L’antinomie mégalomane, l’érotisme sauvage, la vitalité créatrice, les excès, la joie de l’affront et le bannissement de toute forme de calcul, d’intérêt, d’utilité et de mesure, bref « ce dérèglement de tous les sens » va à la rencontre de ce qui parvient à profondément déstabiliser l’ordre du monde créant ainsi une douloureuse, mais nécessaire crise de sens, un renversement, une inversion des pôles…mais puisque l’aveu de la profanation va à l’encontre du sacré même, celui-ci s’éclipse immédiatement, horrifié et incapable de supporter son propre reflet, le sacré disparaît brusquement laissant dernière lui quelques-unes de ses traces qui peuvent encore être visible. C’est-à-dire que la pureté laisse une souillure si elle est confrontée à la violence de la profanation. Ainsi, la souillure peut, dans le cas où le sacré s’est dérobé, se présenter comme une manifestation visible du sacré à travers le principe de palimpseste ou encore par celui du jeu du bloc-notes magique. Ces traces d’un sacré visible guident finalement les pas du mystique qui va se pencher sur l’énigme de cette souillure sacrée pendant que la pureté du sacré cherche un endroit paisible où elle peut guérir de cette saleté qui lui a pourri la vie.
hallucinatory noise
C’est la guerre entre ces adolescents qui jouissent pleinement de l’existence (ils boivent et se droguent, ils baisent et ils font la fête) versus ces grands-parents qui vivent dans la peur et qui appellent la police en boucle. La brutalité policière, la prison, l’asile sont des traces connues provenant de l’ordre et de la discipline qui imposent l’horizontalité totalisante du rationnel et de l’utilitaire. Ce sont les mêmes qui déclenchent des guerres au nom de la paix, qui déracinent les fleurs poussant dans les fêlures de la psyché et qui transforment les injustices en lois. Cet ordre nous pousse à la destruction.
Les adolescents inconsciemment mystiques vous emmerdent profondément et vous ont depuis longtemps surpassés…jusqu’à ce qu’ils….se trouvent un emploi, soient piégés, deviennent des soldats du capital.
Si la souillure communique, si elle crée un pont entre le sacré et le sujet et entre l’imaginaire et la raison, alors il doit en être ainsi lorsqu’il s’agit de rendre tangible l’expérience intérieure. Par conséquent, le mystique s’achemine vers son expérience en suivant les traces infinies de sa profanation jusqu’à atteindre une forme de sacré réel et authentique. Le sacré devenu visible et tangible ouvre donc, par cette expérience, un passage par lequel nous voyageons entre abîme et extase, loin de cette planète en ruine, à l’encre du sacrifice.
Car tenez-le-vous pour dit, le forcené le plus lucide, hochet de bébé dans les mains, s’amuse du réel en dansant, en sautillant au-dessus du gouffre mortel. Dans une joie folle et puérile, il frôle langoureusement les lèvres pulpeuses de la fosse commune, avalant ses cris et, mourant d’amour, il se lance dans la ténèbre pour (re)trouver la lumière…et alors que l’insaisissable chuchote en deçà et par-delà l’abîme, le mystique rit tragiquement. Sachant qu’il ne sera jamais compris, il entre dans son ravissement.
Le chaos et le hasard n’ont pas de Loi. L’au-delà de la mort se situe à l’intérieur d’un espace vide infini, dans une page vierge qui n’est pas même tachée d’une ombre. L’humain a échoué, car il a choisi de salir cette page qui lui était donnée.
- Si je me retrouvais dans un grand Ailleurs Infini et Indistinct que ferais-je ?
- Eh bien, tu ne dois ne rien faire devant l’énigme sacrée qui se présente à toi.
Allongé dans un lit d’hôpital, l’éternel retour redevient manifeste. J’écris donc pour ne plus écrire…Ce que je cherche en définitive, c’est mon abolition. En attendant, les autres mondes du firmament restent encore inaccessibles. Mes lèvres ont un goût de métal...
delight/ravissement
Les condamnés
Scène : Grande salle d’audience servant habituellement aux procès, mais qui a été réaménagée exceptionnellement pour une pièce de théâtre. Le public, jovial et ne sachant pas trop pourquoi il se retrouve ici, discute et fait la fête en attendant le début de la représentation.
jakob mohr, collection prinzhorn
Scène infinie
Les acteurs jouent un théâtre tragique, mais la foule s'esclaffe de plus en plus au fur et à mesure que la pièce se poursuit. Plus les moments sont pénibles, plus la puissance des rires augmente jusqu’à la toute fin où c’est toute la salle en chœur qui s’effondre de rire, certains s’urinant sporadiquement dessus.
De leur côté, les acteurs vivent véritablement la pièce de théâtre jouée mais non pas comme si elle était vraie, car elle est effectivement et tragiquement réelle pour ces derniers. Ils font face à cette innommable violence et ils seront, autant physiquement que psychiquement, à jamais marqués au creux de leur chair existentielle.
Les acteurs sortent à tâtons complètement traumatisés, balbutiants tandis que les spectateurs ivres quittent la salle en pleurant de rire. Plusieurs acteurs se sont effondrés sur le sol en crise de larmes, ils finissent par se relever péniblement et quitter. Ils cessent aussitôt de souffrir et les spectateurs cessent eux aussi de rire à l’instant précis où ils ont quitté la salle de spectacle.
Long silence pesant.
howls against the fertility of mirrors
Retour des acteurs et des spectateurs (les mêmes et aux mêmes places respectives) dans la salle - moment de silence - la pièce recommence, mais, cette fois, c'est une pièce comique à laquelle les spectateurs assistent ; pourtant, les blagues sont reçues comme des attaques verbales, des appels à la haine d’une violence psychologique inouïe d'autant plus que certains spectateurs reçoivent littéralement des coups de poings, des coups de pieds et de petits coups de couteau de la part de ce qui semble être des employés de la salle. Un des personnages sur scène fait de l’humour noir particulièrement salé (viols, meurtres, génocides), mais à chaque fois que ces blagues étaient entendues par les gens dans la salle, elles étaient littéralement vécues en tant que traumatismes sans cesse renouvelées par les acteurs hilares. La dernière blague de la comédie a été vécu comme une torture dont Sade lui-même aurait rougit et jusqu'à la toute fin, certains spectateurs étaient effondrés en larmes par terre et hurlaient tandis que d’autres tentaient d'inverser le destin en riant de force de tout leur être, malgré le supplice. Ceux qui y sont parvenus ont ce soir-là touchés l’extase.
Un acteur se résigna alors à dire honteusement : « Il faut arrêter de se mentir…si on vous donne le choix entre être un bourreau ou une victime, vous devriez choisir d’être un bourreau…».
dog em pleh
Enfin, les comédiens quittent la scène en étant eux-mêmes profondément stupéfaits face à ce dernier évènement, mais en étant incapables de dissimuler leur air follement amusé, riant jusqu’aux vomissements. Quelques acteurs ont esquissé un regard d'empathie mais celui-ci fût trop bref pour apporter un quelconque soulagement puisqu’ils éclatèrent aussitôt de joie devant les malheureux mutilés, ce qui ajouta considérablement à leur désespoir.
Du côté des spectateurs, la plupart se sont retrouvés à ramper - os cassés - entre les sièges tandis qu’un autre, en première rangée, complètement pétrifié, passa sa main tremblante sur son visage en sang. Dans la confusion, les larmes, les cris et un sentiment palpable d’impuissante révolte, certaines victimes, retrouvant graduellement leur esprit, ont alors invectivé les comédiens (en vain) tout en cherchant à l’aveugle la sortie de cette salle de torture. Puis, quelque part dans cette pièce obscure, un spectateur monta sur la scène et redevenu acteur, il nargua la salle en entier en hurlant : « j’ai changé la boue en vin ». Interrogé à la sortie de la salle, il affirme : « l'extase m'est apparue par des frissons brûlants qui pelaient ma peau jusqu'à ce que je n'ai plus de corps. J'ai quitté ma place de martyr par instinct en rejoignant les artistes qui avaient quitté la scène ».
Il eut alors, au moment où les deux groupes ont finalement quitté ce lieu immonde, un silence lourd qui s'étalait peu à peu partout : sur les sièges, les rideaux, les planches... Cette scène partout et encore, encore et de nouveau partout. Une ombre pesante et tangible, un silence matérialisé en spectre.
Un silence de camp.
Fermeture des rideaux.
Un moment.
Ouverture des rideaux .
Les spectateurs et les acteurs réunis sur scène fixent le public très longuement. Chacun cherche à capter le regard d’une personne se situant dans la salle réelle.
Fermeture des rideaux.
what the scene might look like
Scène 0 - Les martyrs
Après un bon moment, un musicien sourd, un peintre aveugle et un philosophe fou entre sur scène.
the deaf musician
the blind painter
the mad philosopher
Le musicien sourd : C'est bruyant ici.
Le peintre aveugle : Trop de clarté ne sait qu'apporter la noirceur.
Le philosophe fou : Nous sommes leurs martyrs.
Le peintre aveugle : Vous n'êtes pas réellement fou, n'est-ce pas ?
Le philosophe fou : J'ai été Beethoven, Van Gogh et Nietzsche séparément puis tout à la fois...est-ce cela être fou ?
Le musicien sourd : Cela m’apparaît comme purement logique. Pourtant je ne vois pas très bien où mène cette discussion. Il a tellement mieux à entendre.
Silence et enfin musique venant des cieux.
Le musicien sourd : J'ai pénétré à l'intérieur des cieux et j’ai tendu l’oreille…On y retrouve quoi ? Un asile d’aliénés. Quelques-uns là-dedans sont de véritables psychopathes.
Le peintre aveugle : Oui, je le sais très bien également. À force d'entendre tous ses cris et de les voir s’entre-déchirer, j'ai fini par me crever les yeux avec le manche de mes pinceaux ! Et puis toi, le penseur fou ?
Le philosophe fou :Je vous comprends trop bien. Pour ma part, j’ai survécu à Là-Haut, mais la catastrophe est survenue en retournant sur Terre. Au lieu de me retrouver dans ma bibliothèque comme d’habitude, j’ai recommencé ma vie tout en préservant ma conscience d’homme d’âge mûr. Ainsi, je me suis aussitôt retrouvé à sortir du vagin de ma mère... J'ai voulu re-pénétrer le sexe de ma mère et de cette façon regagner les cieux avant de comettre l'irréparable, c’est-à-dire de naître. Mais ce satané docteur m'a obligé à vivre...SALETÉ DE SCIENCE.
Le peintre aveugle : Mais vous êtes fou.
Le philosophe fou : Oui, absolument (il rit discrètement levant les yeux vers le ciel). Mais bon ce n’était pas la première fois après tout….
Le peintre aveugle : Quoi ?! Tu veux me faire croire que ce n’était pas la première fois que tu vivais ce genre d’atrocité ?
Le philosophe fou : Tu sais bien que ce n’est JAMAIS la première fois. Je suis l’Origine du monde et son recommencement comme nous tous. Je suis l’Univers, rien d’exceptionnel, tu sais, assez banal, somme toute. Je suis simplement le seul à en avoir pleinement conscience.
Le peintre aveugle : !?!?
Le musicien sourd (serein) : Je ne sais pas pourquoi vous vous querellez sur des sujets de pacotilles. La vie a tellement mieux à nous donner.
Le philosophe fou : C'est lui qui a raison.
Le peintre aveugle : C'est vrai. Cessons de parler du manque puisqu’il finit toujours par réapparaître et son absence recommence à nous manquer.
Le philosophe fou : Oui, c'est bien cela la vie. C'est celui qui a perdu la course qui gagne. Et c'est seulement celui qui meurt qui vit. Merci, ô destin, de nous avoir fait tout rater, de nous avoir donné tout faux. Sans cela, il n'y aurait rien de vrai.
Le peintre aveugle : Mais qu'est-ce que t'es pesant le philosophe fou…
Le philosophe fou : Ah oui ? Tu peux bien parler. Et toi, pourquoi es-tu devenu aveugle toi déjà ? Parce que tu es fou toi aussi.
Le peintre aveugle : Pff. Facétie. Ce n’est pas parce que je suis aveugle que je ne vois pas. Qu’est-ce que tu crois ?
Le musicien sourd : Messieurs, messieurs...Vous ne cesserez donc jamais de ruiner l’existence ? Cassez tous ces mondes parallèles en vous, entrez enfin. Écoutez les paysages, contemplez les sons et reposez-vous un peu, mes frères. Remontez enfin cette spirale à l'envers.
Le philosophe fou : Je veux bien, mais que puis-je faire avec ma pensée torturante ?
Le musicien sourd : Réduis la au silence.
Le philosophe fou : Par quels procédés ? Comment ?
Le musicien sourd : Tu sais bien, il en va de même pour la poésie. Le poème se situe en réalité dans l’expérience menant au poème ou encore dans la contemplation ou le silence. Le poème écrit n’est qu’une trace du vrai poème.
Le peintre aveugle : Mais arrête de parler de lui, s’il t’entend, il risque de venir encore nous embêter.
Le philosophe fou : Moi, je l’aime bien. Eh ! Le Poète aux poignets coupés ! Viens parler un peu avec nous.
the poet with cut wrists
Le poète aux poignets coupés : Salut. Quelqu’un veut trinquer avec moi ? À condition de m’aider, bien sûr.
Le peintre aveugle, le philosophe fou et le musicien sourd riant à l’unisson : Eh bien. Pourquoi pas ?
Le musicien sourd : À quoi buvons-nous mes chers amis ?
Le poète aux poignets coupés : À l'abîme.
Un frisson se fît ressentir. Puis aucun mot ne fut prononcé. Le soleil commença à décliner. Le peintre aveugle s’agita alors. Et il réclama aussitôt son congé. Le philosophe fou et le poète aux poignets coupés commencent alors à discuter intensément. Le poète aux poignets coupés offrit un autre verre au philosophe fou puis un autre. Le musicien sourd resta là sans bouger. Le philosophe fou invita le poète aux poignets coupés à faire la fête chez lui. Poignets coupés accepte à condition qu’il puisse aller chercher un paquebot d’opium et de haschich chez lui. L’aveugle lui énumère les types d’alcool qu’il garde chez lui. Ils partent alors hâtivement sans prendre la peine de saluer le musicien sourd.
Ce dernier resta là seul sentant sur sa peau les dernières griffes du soleil. Un temps passa puis il chuchota en riant “encore” provoquant ainsi le recommencement éternelle de cette pièce sale, absurde, cruelle, extatique, vomitive, belle, balbutiante qui s'appelle la vie.
never cross the line or I will kill you.
POÈME D'UN CADAVRE BAVARD
Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule. Bouddha chie. Mahomet pleure, sue et jure. Moïse saigne. Jésus éjacule.
Mais ce qui réunit ces quatre hommes...c’est qu’ils ont DÉLIRÉ DIVINEMENT.
from one of the covers of the film terrifier 2 that i modified
Dieu est un chien abandonné
qui me poursuit
en reniflant ma honte, mon mépris, ma haine…
Il lèche mes plaies et prépare minutieusement
un trou pour mes os
Je Lui prend la main
le manipule
et rusé Il m'embrasse
ô Dieu
de jours en jours
je sombre
et je sais pourtant
que ton jour viendra
c’est à l’instant où l’on me creuse
et exilé en cette terre intérieure
souillé
je cherche la clé
de ma propre demeure
Des ecchymoses couleur pierre tombale, toute la colère du monde au creux des jointures, les talons lourd comme des sabots, le corps entier est une cicatrice d’hémophile, les bras fous comme des locomotives court-circuités, les jambes avec des fouets cassés à la place des nerfs, le néant dans le sang, l'abîme de la langue aux lèvres, peau de fantôme et yeux obscur océan…
J'écoute du bout de mon œil désorbité. Quelque chose se rapproche. Le ciel me bénit de son feu. Mais je suis un fruit pourri et les bestioles ont faim.
in the film harm (short 2019) by james and amanda bell
soudain un spectre lumineux me traverse
dans une bourrasque de cris
ainsi j’ai trouvé mon épithète :
la vie peut être détruite
en un seul geste
Conclusion : les exoplanètes.
La fin de l’espace
J’arrive du plus lointain. Je reviens d'un monde sans espace.
Je suis là. J’ai sur-vécu. Il fallut une pincée de sel imprévue pour que je ressuscite. J’ai vu. Nous (re)vivons plusieurs vies à la fois. Génétique ? Non, bien plus que cela. Dans la conscience humaine est enfoui le cosmos.
D’où je reviens, toutes les énigmes ont été résolues parce qu’elles ont toutes été abolies. Plus d’espace, plus de temps, absurde donc de « faire » ou, dans mon cas, de « surréaliser » en voulant rendre rationnel l’imaginaire même. Plus besoin de consommer, de respirer, de manger, de boire. Le mot « évacuation » est une mauvaise blague. Nous vivons dans un monde où le mouvement et le devenir sont maîtres alors que sur les exoplanètes nous sommes fixité éternelle, Être Infini et donc…Dieu.
Je suis Dieu.
Déjà-vu ?
Insondable…Nous sommes de l’autre côté du miroir. C’est pourquoi tout ce que nous observons devant nous appartient au réel commun et partagé. Notre espèce examine votre monde. Par contre, l’ancien monde, le vôtre, est dorénavant devenu inaccessible. D’ici, il est manifeste que singulièrement Dieu existe puisque personne n’intervient dans votre monde. Cette preuve s’incarne ainsi : tant qu’il restera un être humain habitant sur Terre, Il existe, car invariablement notre dernier cri Lui est destiné. C’est profondément humain.
*
Réensoleillons la nuit. Quittons nos corps. Rejoignons-nous pour des orgies célestes.
La conscience voyage si elle a été suffisamment fissurée pour laisser éclore la lumière noire qu’elle garde en elle. À son sommet, la conscience est liberté inaliénable. Elle voyage à la vitesse de la lumière vers le hasard sans contrainte. Elle se régénère dans l’exo. La voie de l’exo se concentre dans une contemplation intensive et soutenue menant à un éveil mystique.
Contemplation of Chaos
Ma conscience ne se pose pas là où mon corps se retrouve. En d’autres mots, l’esprit voyage de façon « quantique ». C’est-à-dire qu’il peut se situer à plusieurs endroits à la fois de façon superposée. La conscience se démultiplie (si elle quitte le corps, c’est le sommeil, l’ivresse, l’orgasme ou la mort). L’enjeu est de maintenir. Chaque être humain possède ultimement toutes les vies et les consciences des mondes. On entre ainsi dans l’une d’elles pour se réincarner Ailleurs.
Elsewhere
J’ai agrandi le cercle jusqu’à ce qu’il se rompe. Et je joue en organisant de nouvelles formes, je dessine d’autres lieux, d’autres espoirs. Par ce chemin, je crée des perceptions autres qui arrivent à cohabiter avec d’autres réalités au sein d’autres lieux et d’autres temps, car l’on ne meurt pas. On habite toujours un autre corps qui se fait nôtre. Je crois l’avoir prouvé par mon sang et par ma chair. Mon sacrifice est un don.
*
La violence de la psychose réside dans son implosion-explosion, dans son immanence transcendantale. Le kamikaze se retrouve avec des morceaux de son propre corps autour de lui. Mais ses morceaux restent vivants, ils demeurent conscients. Le problème de la psychose vient donc d’un surplus de conscience du réel et non pas, comme le prétend la définition commune, « d’une perte de contact avec la réalité ». Les pièces de mon corps sont éparpillées autour de l’endroit où je me retrouve et chaque morceau a des sens et une conscience qui n’ont qu’un seul rôle : me communiquer les informations auxquelles je n’ai normalement pas accès. C’est obscur ? Réessayons.
Le corps sans organe d'Antonin Artaud, Akira (1988)
Vous savez lorsqu’une vedette de cinéma a des dizaines et des dizaines d’appareils photo et de caméras braqués sur elle, lorsqu’elle est épiée dans ses meilleurs et ses pires moments, le schizophrène existe de cette façon à chaque instant, mais d’une façon si obscure qu’il serait difficile de ne pas rire en me traitant de menteur. Devant cet Œil (qui n’est que l’accumulation de tous les regards), il arrive que l’on devienne persécuté ou encore vivement glorifié dépendamment de l’effet ressenti dans les rapports humains. Mais ce rapport n’est pas direct, il n’y a pas de rencontre réelle avec l’autre, la vaste majorité du temps, simplement une présence partout autour de soi qui ne se déloge pas. L’Oeil, c’est l’accumulation de tous les yeux du monde pareil à un ce spectre qui se transforme en une lumière vive, cette lumière, c'est le Jugement de Dieu nous dirait Antonin Artaud. Car ce chemin peut aller d'est en ouest ou d'ouest en est, si on se base sur cette photo.
Visible spectrum, an allegory of schizophrenia and God
Seule façon de crever l’abcès (l’Œil) ? L’implosion de la conscience qui saigne comme un soleil entre les cuisses d’une Sainte Vierge. En inversant le spectre lumineux, nous devenons toutes les perceptions du monde en un seul individu et en même temps. Lorsque la lumière revient en nous, nous sommes maintenant porteurs d’un élément divin. Il s’agit donc de l’acquisition d’une forme de voyage de consciences en consciences et ainsi de lieux en lieux jusqu’aux exoplanètes !
Ainsi, avec le voyage de la conscience, il n’y a plus de limite territoriale. Notre intériorité devient si vaste, qu’elle peut même se rendre vers le « paradis », c’est-à-dire vers les exoplanètes où soit l’espèce humaine n’existe pas encore dans l’une de ses multiples versions ou soit l’on se retrouve à cohabiter avec des extraterrestres, c’est-à-dire des déesses, des dieux et de nouveaux êtres qui savent depuis longtemps communiquer avec notre monde à travers la technologie mystique.
(Junji Itō, Spirale in the background )
an encounter
*
Le retour à la pure animalité du corps suspend la condition humaine. Ce retour à l’immanence animale (« dans le monde comme de l’eau à l’intérieur de l’eau ») par la destruction du corps donne à la conscience son éclat transcendantal. L’esprit trouve alors un autre corps où se loger. Pénétrant l’aube, seule demeure la contemplation.
Nous échangeons la notion de retour avec l’unique éternité. Mais l’inverse existe également dans le cas où c’est la notion de retour qui règne. L’information n’éclot pas, elle est sans cesse renvoyée en elle-même comme un miroir déformant. Sans cette fissure espace-temps dans le ciel de la conscience, l’information devient lourde, toxique, délirante, totalisante. Le retour interne tandis que l’éternel soigne. Joindre les deux fûts obligatoires pour la conscience humaine parce que notre corps arrive pas à supporter le retour mais pas l’éternité. Il fallait donc joindre le Retour à l’Éternité et non pas l’éternel au retour. Le retour éternel laisse entrevoir l’éternel, mais l’éternel retour nous prive de l’éternité. Voilà bien ce que nous enseigne la psychose dans des conditions transcendantales.
"L'expérience (intérieure) n'a pas de but - Georges Bataille"
En d’autres mots, en entendant toutes ces voix qui se compriment, le mystique de la psychose finit par être forcé d’agir pour satisfaire le Jugement de Dieu (nous pensons que c’est le regard de tous les autres qui prend le visage de Dieu), on finit par céder face aux ordres de sacrifices et de régression. Par la force du nombre, Dieu décide finalement d’accorder une réponse aux prières qui prennent la forme de toutes ses voix entendues. C’est ainsi que le psychosé devient un dieu en ce sens qu’il apprend à résister aux prières (résister aux voix et aux hallucinations). Le problème venant du fait qu’il doit admettre qu’il ne peut pas contrôler les autres et le monde, exaucer leurs souhaits, punir ceux qui font le « mal ». Il est en ce sens dieu, mais à la seule condition d’être impuissant. Car un dieu qui obéit aux voix et aux hallucinations n’est pas un dieu, mais un fou. C’est celui qui répond à haute voix à tous les jugements et à toutes les requêtes incessantes, volant au-dessus de sa tête comme un bassin de mouches, qui est véritablement malade. Il devient l’Œil, le Jugement, il se croit Dieu : « c’est jouer l’homme ivre, titubant, qui, de fil en aiguille, prend sa bougie pour lui-même, la souffle, et criant de peur, à la fin, se prend pour la nuit ». Si Dieu vous ignore, c’est bon signe…
Que le Jugement (les hallucinations) proviennent de l’extérieur vers l’intérieur ou qu’à l’inverse il aille de l’intérieur vers l’extérieur ne fait pas du schizophrène un être libre. Dans le premier cas, il s’agit d’une réelle théophanie qui se manifeste à travers un continuum espace-temps, un trou de ver dans lequel nous ne sombrons pas, mais dans lequel nous émergeons : cercle ouvert. Mais le second cas est plus apparent, plus étrange et donc plus à risque de se retrouver pour longtemps derrière les portes de l’hôpital psychiatrique, dans l'im-monde où, par mimétisme, on ne peut qu’aggraver son cas. Comme lorsqu’on préfère dormir plutôt qu’aller travailler, il faut savoir mentir pour espérer sentir le vent balayer les portes de notre peau.
don't response
Enfin, une fois que l’aube a été enfantée, l’humain se transmue vers les exoplanètes où aucun « être vivant », sinon d’autres déesses, d’autres dieux et de nouvelles créatures, existent. Une fois là-bas où il n’a rien eu et où il n’y aura rien, l’on descend peu à peu dans la brume du ravissement afin que nous puissions nous perdre à l’intérieur de la contemplation éternelle. Le Ciel descend lentement et l’on fusionne avec Lui. Nous sommes l’univers, mais notre corps ne sait l’accueillir, notre lourdeur nous ramène vers notre ridicule insignifiance, notre impuissance, effervescente extase kaléidoscopique.
Je meurs, je suis immortel.
Noirceur blanchâtre, tout ce que je suis n’est plus, car tout ce que je suis est précisément ce que je ne suis plus. Ouverture mortelle de nouveaux sens, immanence, espace-temps transcendé, éclosion du cocon extraterrestre, un enfant sera libéré de sa part humaine et, pour une fois, il ne sera pas un monstre.
drawing that I finished tomorrow
La fin du temps
Tout se décomprend et s’inverse. Bientôt, il ne restera plus rien de nous. S’il y a limite, il y a cassure. Depuis que les colombes se sont fait dévorer par les serpents, il y a dans ma tête un chaos vertical.
La brise balbutie sous les jets aiguisés de l’aube, les parois de pierre de la grotte transpirent de lourdes gouttes. Les vagues déboulent sur la grève qui roupille et les remous avalent l’haleine des branches, des algues et des coquillages.
Les grottes qui s’écroulent nous forcent à l’exil, vers un grand Ailleurs (les exos). Nos pas ont le courage tendu du lever du jour. Au-dessus de la mousse turquoise des rochers, une aura perce la poche haletante de la sombre brume. C’est le souffle des déesses qui embrase les fruits stellaires qui à leur tour chantent le nouvel encensement du monde.
Car le jour viendra où les cyclones et les tornades du temps encercleront nos jardins maudits. Là où de frêles fleurs de miel sucré deviendront des croûtes, là où l’herbe flasque s’abreuvera de la sueur de cette question…Qui cicatrisera le silence éventré du chaos ?
À l’intérieur de nos gorges arrachées par la comptine vicieuse de la terre, nous larmoyons sous leurs ordres de régressions et de sacrifices. Des monstres encagés dévorent les flammes roses de nos cœurs. Ils nous font fabriquer nos urnes, préparer notre mise en terre, ils sucent nos joies et nos peines. Ce qui t’est enlevé te sera toujours enlevé deux fois.
Je vous le hurle par-delà ma naissance.
Crépitements atomiques de l’être et cloques du sens : le silence cogne dans la porte de ma poitrine. Je deviens le chaman, le sorcier du crépuscule et les bêtes affreuses à l’intérieur de la forêt de l’extase sont affamés. La spirale blanche de la nuit donne le repos à nos nerfs étranglés par l’apocalypse. Traversé par le peu qui puisse encore me retenir, je m’assoupis dans la tombe des déesses. La fumée de la lucidité qui flotte forme de fiévreux fantômes qui jouent aux voyous et aux voyants.
La lune accouche du soleil. Les rayons sont des jets de chaos. Le soleil reflète des barreaux, nous sommes dans une cage. Mais par-dessus tout, les rayons dissimulent une libération, une clairière, une initiation aux rituels, une illumination.
*
J’avoue. Je suis terrorisé. Je suis épuisé. Je m’enfonce.
Je sens mes bras comme des tuyaux abritant des larves insomniaques qui creusent leurs nids pour se reproduire. Je joue à la noire asphyxie de la gorge. Je m’amuse de rouler de lettre en lettre jusqu’à la salade de mots, en échange de tant d’années d’espérance de vie. Je suis fatigué. Dépassé. Excédé. Le temps a fait son œuvre. J’ai échoué à devenir Dieu.
Les obsèques de mes mots, je les ressens dans un néant fulgurant qui tournoie de syllabe en syllabe. Le vertige devant le vide devient une aliénante agonie. Immergé par la multiplicité de soi, je m’écroule de contemplation devant la verticalité de l’Autre. Je fuis ceux qui me lapident, les bourreaux, les persécuteurs, les cannibales, la visite obligatoire de ce « cirque » que l’on appelle conformisme...,.
The Earth and its parallel Exos
Le problème de l’humain est qu’il peut se transformer en fumier et qu’à partir de ce fumier poussent la haine, le dégoût, le mépris, le ressentiment, l’injustice. Démultiplication. Il suffit d’un parasite pour qu’un autre humain se transforme en fumier et que celui-ci contamine tous les autres de son espèce. J’ai trop été parasitaire. Je suis un virus et je ne veux pas contaminer les autres. Je vous en supplie, brûlez-moi.
*
En vérité, même si le chaos est souverain, c’est l’harmonie divine que nous recherchons. Car, de ce que je suis, plus rien ne me parvient et c’est bien ce qui me devance qui parle. Accorder les consciences, en faire une chorale, c’est peut-être notre but ultime sur terre.
Perdre la tête
Somme toute, mon expérience intérieure tend à me faire conclure que si l’harmonie peut devenir chaos, comme nous le savons tous très bien, l’inverse est tout aussi vrai. Le chaos sait s’accorder et, dans son jeu, retrouver naturellement l’harmonie perdue. Voilà ce qui se produit lorsqu’on ferme cette page internet : le « retour à la conscience ensoleillée ». La musique inaudible n’a jamais cessé de jouer sa divine symphonie. Il s’agit de savoir l’entendre…
Tout porte à croire, en revanche, que l’impossible n’existe pas, qu’il serait plutôt un miracle…Jouer à la fois avec le chaos et l’harmonie, non pas séparément, mais en même temps (traduire en mots la musique “noise” afin d’illustrer la réalité autrement) relève du miracle, et c’est, je crois, ce que j’ai essayé de transmettre.
J’ai été le sujet, l’objet et la perception. L’auteur, le spectateur et l’acteur. J’ai été l’imaginaire, le réel et la distorsion des deux. La psychose, l’imagination et la raison (schizologos). Je n’ai pas menti, je me suis mis en pièces. Certaines ont un rôle, d’autres observent, enfin d’autres organisent, créent. Je suis l’instrument de musique, le théoricien et la création qui en émane. Je suis l’atonal. Je suis le démiurge sourd et aveugle. Et je fus un temps le dieu acéphale.
Acephal : magazine, religious community, a new god
*
Je vous présente finalement ma communauté (je suis complétement seul).
Il y a Dionysos, choriste et à la rythmique. Il y a Nietzsche au piano. À la basse, Georges Bataille qui est saoul d’extase et qui s’agenouille les yeux grands ouverts face aux guenilles des groupies. Je remercie Rimbaud et Artaud pour les arrangements. Merci à la vie comme disent les morts ! Et à Hölderlin qui s’incline maintenant à son tour dans la foule ! Et sans oublier l'électronique majestueux de Philip K. Dick!
Pour ma part, je suis l’acéphale, le “réincarné” et je joue du schizophone. Né du passage de la raison à la psychose et de la psychose à la raison…de la naissance à la mort et de la mort à la naissance…du chaos à l’harmonie et de l’harmonie au chaos.
L’univers s’expanse pour ensuite se contracter et il recommence pareil aux orgasmes d’une vulve autour de mon sexe. Il croit puis il décroît, versa vice. La réelle présence habite l’absence et l’absence seule connaît la véritable présence.
Nous sommes Saint Psychosis !
Merci de nous avoir hallucinés...réellement ! ___________________________________________________________________________________________________________________________________________
Georges Bataille, Théorie de la religion, Paris, Gallimard, 1973, p. 25.
Georges Bataille, L’expérience intérieure, Paris, Gallimard, 1954, p 85.
Artaud esquisse un sourire en grimaçant devant moi.
Georges Bataille, Le coupable, Paris, Gallimard, 1961, p. 71.
Lumière.
Fin de la cérémonie rituelle,
que l’on appelle également :
« le concert des Apocalypses ».
Achèvement du sacrifice,
gage de l’infini.
Plus un seul instant dont je ne puisse pas rire
l'art d'être une victime et un bourreau
« La route de l’excès conduit au palais de la sagesse »
William Blake, Le mariage du Ciel et de l’Enfer, p. 161.
Été 1989 : Première naissance, oui.
Mai 2007 : J’essaie de me suicider puérilement par overdose à mes 17 ans (convaincu d’avoir trop souffert, sachant ce qui vient, comme je suis ridicule[i] !). Je prie Dieu de me laisser sombrer. Dieu est sourd, car j’ai survécu[ii]. Je deviens schizophrène et bipolaire. Je suis interné. Jaquette d’hôpital, collection automne-hiver. Camisole de force. Dix pilules par jour à jamais. Les bocaux font un bruit d’une mâchoire qui croque. Heureusement, j’ai bon appétit.
Exilé dans l’intériorité, je suis celui qui est devenu fou en lisant Ainsi parlait Zarathoustra. Deuxième naissance, oui. La première psychose est dionysienne et hégélienne. Tout est trop, ce qui donne l’illusion d’être tout.
Avoir conscience de l’éternel retour signifie : se savoir mort et vivant à la fois ou bien : lumineuse annihilation intérieure, ou encore : transfiguration de l’instant. Comme la naissance, la mort baptise. Avorté du réel, je me retrouve partout ailleurs sauf ici. Plusieurs mondes agissent en moi. Je suis d’ordre quantique.
Et, au fond de ce gouffre béant, dont nous ne cesserons de remplir vainement dans les périodes de lamentations, il y a ces murmures perçants prenant parfois l’allure d’un cri. Dans un monde où la mort a perdu le goût des étoiles, la pensée schizophrénique (schizologos) avance à la manière d’un mutant miraculé. Conscience du cyborg. A
Intra-muros, j’ai résisté, j’ai résisté et j’ai résisté (sueur, sang, abominations, hurlements, camisole de force, supplications, chaos)…Mais lâchement, je me suis réfugié dans les jupes du Christ. J’ai craqué. J’ai prié.
*
Décembre 2007 : Fin de l’internement. Pour les prochaines années, boire jusqu’à l’écroulement.
Septembre 2008 : Mes draps gémissent et la nuit s’ensoleille.
Décembre 2012 : Après la grève étudiante pour laquelle j’ai milité radicalement, j’éclate une seconde fois, psychose de porcelaine. Les médias parlaient du calendrier maya et de Fin du monde tandis que l'on publiait l'un de mes poèmes. Errant dans le souterrain[iv] de l’UQÀM, le délire est mystique cette fois. En « blackout » métaphysique, je me suis mis à courir sans m’arrêter. Jusqu’où ? Je l’ignore. En réalité, je crois avoir échangé de corps. J’ignore tout de cet instant. Peut-être étais-je nu ? Certains l’ont affirmé. Possiblement pour m’affoler davantage. Par l’entremise du hasard et de la chance, je sais avoir touché Dieu. Je demeurerai à jamais dans l’obscurité du non-savoir…puisqu’ « au sommet du savoir, je ne sais plus rien, je succombe et j’ai le vertige [v]».
Juin 2013 : Mon père, non né encore, meurt dans mes bras. Je prie, je supplie follement. Il survivra. La foi ne revient pas…Je réalise dix ans plus tard qu’elle n’est jamais entièrement partie.
Janvier 2014 : Le sexe à l’air libre, je pisse sur les murs et je fuis les urinoirs de l’université durant la pause du cours Nietzsche. Je l’ai vu. Ce moustachu ! Il me poursuivait. Répétez, car il a réinventé la roue, ce salaud !
Nous recommencerons. L’humanité tourne en rond imitant le mouvement de sa planète. Je lutte tous les jours contre l’envie de mort (quel manque d’originalité !). Je ne partirai pas seul ou sans avoir tenté l’impossible. Je garde la dernière balle pour moi. Troisième naissance, oui, j’ai conscience des espaces vides qui contiennent tant d’autres mondes et tant d’autres temps. J’ai conscience aussi que nous les habitons sans le savoir. Nous sommes multiples et en dehors de nous-mêmes.
Mars 2014 : Scandale du silence absolu. Obsession pour Maurice Blanchot, pour l’hors langage. Incapable de prononcer la moindre syllabe (ou presque) pendant trois ans. Interminables promenades dans l’extrême lenteur de la nuit ensoleillée, inspirées par Les Harmonies de Werckmeister de Tarr et par Le sacrifice de Tarkovski. Je fais le fantôme dans les couloirs de l’université. Et puis Première expérience avec la paradoxycodone.
Octobre 2017 : Lady Die, par amour, je t’ai donné les éclats du soleil, par ma mort, je t’offre l’aliénation du savoir (j’ai expliqué à cette danseuse nue comment finir son secondaire 5). Et depuis je suis suivi…par de belles automobiles luxueuses. Leur coffre à gants dissimule une arme. J’ai privé ces criminels de leur revenu : Lady Die veut retourner à l’école.
Juillet 2019 : Complètement saoul, je fous la merde partout, dans la joie absolue, encore une fois, encore une fois, encore une fois, j'aime détruire, déranger, dégoûter, faire peur. Je fête l’Apocalypse prochaine.
Mais les gens autour[vi] sont terrorisés. Ils ont raison de l’être. Je suis dangereux.
Lamentablement, je finis à l’hôpital pour une énième fois…Je suis un porc dandy. Un anarchiste obèse. Un déchet qui mélange la pornographie et le sacré.
Automne 2019 : Ma famille et mes amis ont honte de moi[vii]. Je ne travaille pas. Mon logement frôle l’insalubrité. Je veux me faire vasectomiser. Haine, mépris, dégoût pour le mot : « carrière » [viii]. Ils ne vous ont pas offert un emploi, ils vous ont enrôlé et vous n'êtes rien d'autre que des SOLDATS du CAPITAL.
Mes yeux sont des pierres tombales qui pleurent des ravins de larves.
Je m’éveille. Je me suis endormi devant le bar. J’ai peut-être été battu. Une femme passe avec son enfant dans une poussette. Si vous aviez vu son regard[ix]. L’âme en lambeaux sur le sadique chemin du retour, j’avance en gymnaste raté. Je joue au Christ sur les boulevards oscillant entre la survie et l’abandon. Sur le chemin de croix, on me klaxonne, me dévisage. C’est hilarant. Personne ne sait que, depuis plus de dix ans, je pratique des rites dionysiaques et que « je suis le Crucifié du Réel sur le foie [x]».
Février 2021 : En vomissant, j’ai craché du sang. J’ai 31 ans. Je suis alcoolique. Le médecin me dit que je me dirige vers la cirrhose et il « blablablote »…Je cache le diagnostic à tout le monde et je continue de boire. Entre-temps, l’interné a terminé sa maîtrise. La camisole de force a entamé un doctorat qui sera interrompue, car il n’arrive pas à objectiver. Il subjective la subjectivité. Mise en abîme. (Et je suis accro à de nombreuses drogues…).
By Peter Burton, facebook.com/PeterBurtonArtist?_rdr
Avril 2021 : Je viens de me couper la joue droite avec un couteau dans une certaine extase. Mes plaies sont des portes intersidérales. Dieu m’a tendu son miroir et j’ai vécu de l’autre côté des reflets.
« Est spirituel ce qui relève de l’extase, du sacrifice religieux (du sacré), de la tragédie, du rire – ou de l’angoisse. L’esprit n’est pas entier spirituel. L’intelligence ne l’est pas. Au fond le domaine spirituel est celui de l’impossible […] Si prenant conscience de l’impossible, je me mets à son niveau, je puis être ou non dans l’extase, je puis rire, ne pas rire, avoir ou non un sentiment de sacré , poétique, tragique, avoir ou non un sentiment sacré, poétique, tragique, je ne me borne plus à subir l’impossible des choses, je le reconnais comme tel, je n’élude pas l’impossible dont je ris, etc… » Georges Bataille, Œuvres complètes Tome 6 (Le rire de Nietzsche), Paris, Gallimard, 1973, p. 310.
J’entends alors la police et les ambulanciers courir dans le couloir menant à mon appartement. Ils me fouillent après avoir hurlé : « FREEZE. DÉPOSE TON COUTEAU PAR TERRE ». Me sortent de chez moi, menotté. Je me débats. Mon amoureuse dort ? Lui ai-je fait du mal ? J’ignore mes actes mêmes. La sainte est finalement saine et sauve. Hospitalisé, je végète… J’échappe de justesse à l’internement. J’arrête « théoriquement » de boire. Être un camé, un ivrogne, c’est bien cela : choisir un raccourci qui rallonge…Je suis un abruti.
*
Je le répéterai à travers tous les cris : pas de retour à la raison sans la destruction de la raison. Pas de retour à la vie sans la mort. Comprenez donc enfin qu’on agite son hochet pour la première fois dans son cercueil.
Ne croyez pas que la chute est mortelle, elle est divine, mystique. Dès lors, je crache sur ce qui me fait naître et je cajole ce qui me tue. Dépérir par guérison.
Avancer, avancer, mais en cercle...?
Johann Knüpfer (1866–1910)
Le céleste souille.
Après s’être dissous dans tant d’éclipses, on achève la nuit avec un corps de cafard. Beurre de dopamine cristallisé fondant dans mon œsophage encrier et joie ! Exaltation de joie. Apitoiements esclaffés. Le destin, le destin…c’est qu’il n’y en a pas.
*
À ce stade, je suis déjà maudit par tous.
Mais allons plus loin, malgré tout…
Rien de ce que je suis n’est enviable. M’imiter est un crime contre la vie. J’incarne l’échec, le rendez-vous gâché, le désengagement, la démesure abyssale, le destin dévié de sa trajectoire; un monstre grotesque uniquement visible par les enfants profondément affectés (c’est ainsi que je chute dans le retour ?). Je suis celui qui s’inverse et se dé-comprend dans le grand palais délabré de l’existence.
L’aiguille de la divine destruction et les fils synaptiques s’emmêlent. Nœuds, boucles, circuits inusités, labyrinthes intérieurs, chemins qui ne mènent nulle part. Nous sommes décousus comme l’œil pendouillant d’une peluche.
Mais, soyons sérieux, un instant…La vie est ailleurs.
Il faut tout renverser.
*
Mes phrases vous feront ressentir un décalage. Je sais écrire deux pages droites et deux pages gauches. Je sais effacer la page en la noircissant. L’autodérision soigne et sanctifie. J’ai bien vérifié le nœud de la corde avant de…mais il y a eu un dénouement inattendu.
C’est ainsi que j’ai compris la profonde insignifiance de l’existence. 89 heures sans dormir, sans drogues ni alcool, je fixe le soleil en m’époumonant : « la MORT, elle vient en sarrau ou en soutane ? ». J’agonise béni dans la cyprine.
*
Allume le pétard des asiles (schizophonie).
J’ai voulu disparaître et j’ai pensé… (dommage que l’on ne se sente jamais aussi libre qu’à l’instant où l’on tue, mais qu’on soit à jamais le pire de tous les esclaves). Je me suis armé, j’ai pensé à des plans. Le hasard d’une rencontre m’aurait condamné à la prison à vie.
Je suis un raté. J’ai tout perdu. J’ai fait des séjours toute dépense payée en psychiatrie où j’ai exaspéré les infirmières. Je me suis souvent battu contre des inconnus dans les bars. Je me suis souvent fait battre par des inconnus dans les bars. La police m’a fiché. J’ai dormi dans la rue. J’ai frôlé la mort trop de fois. Je cuisine depuis peu des galettes d’opium aux champignons magiques.
Dans le lot des miraculés, je fus sauvé plus que quiconque[xi]. L’ablation du réel fut savamment exécutée par les bouchers de la rationalité instrumentale. Dépecé par le hasard, je suis sécrétion de chances. C’est que la violence offre la dureté et que la dureté protège de la violence…Dévorez-moi.
[Ton âme coule. Ablation du réel par les bouchers de la raison instrumentale]
J’annule ma propre cérémonie funéraire puisque ce soir je suis occupé à me faire naître dans l’anéantissement.
J’ère dans les rues, dans l’anxiété totale, exaspéré, la cervelle sous les semelles; puis croiser de jeunes fêtards naïfs et insouciants et être prêt à chaque instant à me faire sournoisement poignarder; déficient déchiré, la tête comme un hameçon qui gratte l’asphalte au bout de la corde de ma moelle épinière, quelques sanglots, les nerfs qui me fouettent, tendus, tendus et retendus, effilochés jusqu’à la cassure : être en dehors de soi, ailleurs qu’en soi – jus d’âme pressé jaillissant de ma peau, furoncle de l’être – cadavre hyperactif qui allèche les vermisseaux – puis surprendre le vent qui bavarde avec les fleurs et les feuilles une seconde (l’éternité ?) pour finalement me quitter (jamais le vertige n’empêchera la frivolité du saut) à l’instant où l’obscur s’ensoleille.
Autoportait (corps d'âme)
Mon sacrifice saigne azur alphabet.
Au sein de l’éclosion intérieure, mon animalité folle affronte l’aube qui, en m’apercevant, rougit et se rendort. Écroulé de rire sur la page ! Et l’encre de mes larmes se diluant sur la page poignardée ?
Mais…maiiis, euuh…quooiii !?! J’suiiis…
J’suiiiiss toombbééé deebboouut ?!?
*
« De l’autre côté », il y a des univers parallèles. Nous ne devrions ni les connaître ni les habiter. Je proviens de cet ailleurs. L’ordre du réel a été brouillé. C’est pourquoi nous sommes méconnaissables, car absolument et infiniment autres. Nous avons conscience de nos nombreuses existences vécues simultanément. Les temps et les espaces sont dorénavant interchangeables. Ma langue est un pont écroulé qui sépare les rives du cri et du silence.
Suspendu entre deux mondes, j’« ensaigne » le nombrilisme des limbes.
La psychose (l’une de celles que je comprends suffisamment du moins[xii]) est l’éternel retour comme révélation.
Technologie mystique : machine aux réincarnations
(Entre-temps, je retrouve une note oubliée du temps de la deuxième psychose. « J’ai en ce moment 120 femmes en mon corps, 600 sens ».
(Puis quelques années plus tard, j’ajoute : « Plus de 1000 consciences, 1000 vies réelles dont les vécus singuliers furent faussement illusoires »).
Été 2022 : J’ai fait une overdose. Il y avait du Fentanyl dans mes opiacés. À un cheveu de la mort, j’ai vu un être au visage d’abîme (sorte de moine ?) avec une immense capuche traverser le couloir de mon appartement. J’ai été assez (beaucoup trop) loin. C'est ma troisième ou quatrième psychose, j'ai perdu le compte.
J’en conclu donc que…
L’existence ? Un sacrifice dans le désert noir du sacré.
L’extase ? Les cris d’un forcené dans le corps d’une pucelle.
Et le schizologos ? Sa monstruosité paradoxale s’embrasera dans le prochain autodafé. On me lancera dans un feu. De toute façon, l’espèce humaine a eu son compte. Il ne restera rien d'elle.
Dans un contexte où tout ce qui ne sera pas totalement virtuel sera prison ou asile. Loin de tous ces labyrinthes intérieurs...Une nouvelle espèce apparaîtra.
Ainsi parlait Zarathoustra page 454 : « Ils sont joyeux, se remit-il à dire, et, qui sait, peut-être aux dépens de leur hôte ; et s’ils ont appris à rire de moi, ce n’est cependant pas mon rire qu’ils ont appris[xiii] ».
« People keep me in misery because they keep coming up to me with some gossip about my past and I know nothing of theirs. The eggs have been emptied like a head stripped of its contents. It has nothing left in it, no more secrets, they went to satisfy somebody’s appetite, some body that has power over me. They enjoyed every tasty mouthful. Two eggs ? It was the same yesterday. » Brian Charnley
Le lointain se rapproche
Une lampe rouge se faufile dans mes vertèbres martelées par des pianistes inconnus du réel. Les grimaces du soleil poignardent mon âme incendiée. Les rochers encaissent le mouvement des vagues qui bavent des rubis de lave bleus.
Les derniers rayons du crépuscule me ligotent et c’est plein de papillons qui veulent s’envoler hors de mes veines. Le sirop mauve du soleil spongieux soigne et se voile sous ses cils éclatants. Le lac scintille dans son éclat craquelé et criant.
La réalité s’écroule…Le monde se renverse, se révulse et recommence. Ce qui restera de nous sera détruit puis mangé, car nos cris sont des offrandes.
Le ciel s’incline pour embrasser la terre. Feuilles et pétales lèchent la partition du monde. Une ombre nous suit et nous surpasse, elle nous illumine.
Les divinités absentes annoncent de nouveaux cosmos, oui. Il s’agira, cette fois, oui, de se vouer, de croire, de se sacrifier aux déesses, oui.
Mars 2023 : Depuis janvier dernier, j’ai arrêté les opiacés, le xanax, le lorazépam, les champignons magiques, la marijuana, le hasch, la cigarette et je ne bois plus jusqu’à la cirrhose. Je ne bois plus point.
Mars 2024 : toujours abstinent ! 1 an et 3 mois ! J'aimerais faire un livre scandaleux à partir de ce site. Entre temps j'ai fait un album. Ah oui ! Il y a eu une éclipse totale du soleil.
Je n'ai plus de raison d'écrire.
Les voix sont devenues de la MUSIQUE.
À l’heure des Apocalypses ensoleillées,
nous serons euthanasié.es.
Se termine ainsi
mon sacrifice.
Quatrième naissance. Troisième double mort, mort, mort.
[i] Ultimement : « apprenez donc à rire par-dessus vos têtes ! Élevez vos cœurs, haut, plus haut ! Et n’oubliez pas non plus le bon rire ! Cette couronne du rieur, cette couronne de roses à vous, mes frères, je jette cette couronne ! J’ai canonisé le rire ; hommes supérieurs, apprenez donc – à rire ! » Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra [De l’homme supérieur], Paris, Livre de poche, 1968, p. 436.
[ii] « Eli, Eli, lama sabachthani ? (Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?) » Matthieu 27:46.
[iii] Titre d’une nouvelle téléréalité bientôt sur vos écrans en placenta.
[iv] À la fin de mes études, j’étais devenu le narrateur des Carnets du sous-sol de Dostoïevski.
[v] Georges Bataille, Le coupable, Paris, Gallimard, 1961, p. 138.
[vi] Tous ces inconnus qui me dévisagent dans les rues ont peut-être d’excellentes raisons de le faire...
[vii] « ******, il y a des gens qui t’aiment » - Maman.
[viii] Dionysos est récipiendaire de la solidarité sociale.
[ix] Le principe de l’autodestruction : se sacrifier pour mieux s’abreuver à l’azur de la résurrection.
[x] Antonin Artaud, Cahier de Rodez, Février-Avril 1945, p. 49.
[xi] Feu. Le paradoxe de l’abîme : « Mais aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve » - Friedrich Hölderlin, Œuvres [Patmos], Paris, Gallimard, 1967, p. 867.
[xii] J’en compte au moins 26.
FIN
Retour des acteurs et des spectateurs
(les mêmes et aux mêmes places respectives)
dans la salle - moment de silence -
la pièce recommence, mais, cette fois, cette fois...?
Résurrection du Christ ou la caverne de Platon ou "Zarathoustra veut redevenir homme" ou un trou noir ou encore...?
Guide de lecture à l’usage des scientistes :
« Symptômes » et « diagnostics » de la psychose
"s'être dissout dans les éclipses et être traité comme une coquerelle."
La psychose virtuelle. Depuis peu, elle a abouti dans le réel « partagé », avec les complotistes notamment.
Celle d’origine politique qui part de l’extrémisme et va jusqu’au fanatisme. Il s’agit de croire être l’Élu de l’Histoire. Syndrome du sauveur.
Un interné avec qui j’étais lors de mon premier enfermement me confiait qu’il était le Christ et qu’il était revenu sur terre pour rétablir la paix (dans le contexte de la guerre en Irak). Je lui ai suggéré de mentir pour mener à terme sa mission et il a été libéré avant moi…
Le Christ, Mahomet, Bouddha…sont de retour sur Terre. Syndrome du sauveur (bis).
Celle des complots (micros cachés, caméras de surveillance, mafia, gouvernements, extraterrestres…). Persuadé que j’allais me faire fusiller par le crime organisé, il est arrivé que je me mette à faire des pirouettes sur l’asphalte en pleine rue pour esquiver les balles. (En écrivant ces lignes, je ne peux m’empêcher de rire violemment)
Celle de la réincarnation ou des changements de corps. C’est celle de Nietzsche (et l’une des miennes également par laquelle je suis paradoxalement devenu Nietzsche un temps) lui qui affirmait après son effondrement à Turin :
« J’ai été Bouddha en Inde, Dionysos en Grèce ― Alexandre et César sont mes incarnations, tout comme le poète de Shakespeare, lord Bacon. À la fin, j’ai encore été Voltaire et Napoléon, peut-être également Richard Wagner… Mais cette fois-ci, je viens comme le Dionysos victorieux, qui fera de la terre un jour de fête… Non que j’aie beaucoup de temps… Les cieux se réjouissent que je sois là… J’ai également été accroché sur la croix… 1 »
Olfactive. Hallucinations de la pourriture, d’excréments ou de quoi que ce soit d’autre qui n’existent pas au moment où les sens les perçoivent.
Visuelle. Là où l’œil se désincarne durant l’hallucination, là où les couleurs font des orgies macabres. On voit des êtres et des choses aussi réelles et tangibles que ce que tu tiens toi-même dans tes mains en ce moment.
Entendre des voix, associé à la totalité de la folie dans la culture populaire, consiste à être face à une absence pleine. Elles sont parfois un bruit de bombes bruyantes, d’autres fois des ordres agressifs auxquels il ne faut pas obéir. Les voix sont à la fois terrifiantes, sournoises et brutales.
Gustative 2. L’on tend vers l’anorexie en refusant de manger. La cause vient du fait que la perception inverse la pollution et la consommation. La nourriture devient déjections et la rumeur raconte que pour les irrécupérables…
Le cannibalisme de soi et le cannibalisme de l’autre. Pas vraiment dans son sens littéral. Pensons à la transsubstantiation.
Être touché. Frissonner en sentant une présence autour de soi comme des fantômes glacés rasant la peau frissonnante.
Les hallucinations intrapsychiques. J’en parle au début du livre à travers l’idée de la malédiction de la conscience. On est littéralement hanté par d’autres humains (presque toujours par des ennemis) qui ne veulent plus quitter nos pensées. Si l’on n’est pas encore fou, on finit par le devenir. Pendant dix ans, des insectes ont fait leurs nids dans ma conscience et dix ans durant, je n’ai cessé de les chasser avec des produits chimiques (alcool et drogues). Folie totale que d’envoyer en masse sur Internet une photo de soi la joue en sang les yeux révulsés à une personne qui a eu le malheur de me faire du « tort », il y a de ça dix ans. Je suis totalement étranger à l’idée d’avoir plusieurs personnalités, mais clairement ils ont été 3 plusieurs en moi.
La psychose de la procréation concerne l’image de soi qui s’annihile par le sperme dans les miroirs. Tous fils ou filles de…ne pouvant pas être entièrement soi-même, il s’enclenche donc un processus de rejet radical de son arbre généalogique 4. Vient ensuite, après cette tâche folle et ardue, une recréation de soi menant à une réincarnation de soi en une enfance nouvelle où nous habitons. Il ne faut pas avoir peur de tout recommencer.
Celle du meurtre, sans que l’acte soit nécessairement entrepris ou concrétisé.
Il s’agit de se sentir pénétré, perforé…par le monde extérieur.
La folie du double : se voir devant soi alors qu’on est pourtant « là et en soi-même ». C’est ainsi que pour nous « Je est un autre 5 ».
L’implosion intérieure ou la bipolarité atomique.
La psychose de l’abîme ou celle du désespoir suicidaire. La schizophrénie est un jeu de survie. On joue à la roulette dostoïevskienne.
Le démon devient ange. « L’être responsable de tout » doit s’expier parce que le poids de la culpabilité est insoutenable. Par exemple : « le 11 septembre, c’est ma faute. J’ai une dette infinie envers l’humanité. Mon sacrifice est ma seule chance de réparer mes torts. Ainsi, je suis le sauveur de l’humanité parce que j’ai été le destructeur de l’humanité. » Cette folie inclut une dimension religieuse, historique et politique, mais elle implique également un sacrifice qui libérerait, dans sa réalisation complète et totale, l’humanité. La crucifixion en serait une comme semble le suggérer Martin Scorsese dans La dernière tentation du Christ. Et certains se suicident dans une joie maniaque. Persuadés de se faire pardonner d’avoir commis ce dont ils ne sont pas responsables.
Le verbe nucléaire du maniaco-dépressif où chaque mot est déjà un autre mot, racine carrée du signe. Cette logorrhée peut se manifester d’une façon complètement contraire, c’est-à-dire en étant complètement incapable d’émettre le moindre son. De ceux qui ont la malédiction du monologue intérieur, mais uniquement intérieur.
Le délire de la pensée nue consiste à avoir la certitude que chacun peut lire dans sa pensée. Elle s’accompagne souvent de la persuasion inverse, c’est-à-dire de pouvoir lire dans la pensée d’autrui. L’un impliquant souvent l’autre…Assommé par toutes ses demandes incessantes de consommateurs et poids creux insoutenable venant de tous ceux qui vous supplient sans cesse pour…du matériel. On ne peut rien penser si tout le monde a accès à chaque instant au contenu de notre monologue mental, mais la pensée ne s’arrête pas pour autant. On finit par insulter des gens sans le vouloir et l’on doit s’enfuir au risque de recevoir une contre-attaque.
De passer de Dieu à larve ou de larve à Dieu : le délire micro et macroscopique. Pour en finir avec le jugement de dieu, dirait Artaud. C’est que Dieu (l’Œil) observe les larves tandis que les larves doivent se regrouper pour arriver à le voir.
L’âme qui commence à flotter hors du corps et la mutilation pour qu’elle y revienne.
Le rêve de revivre à partir de l’état prépsychose, la personnalité de la personne reste tendue au stade de l’enfance ou de l’adolescence. On mâche et remâche désespérément « il aurait pu en être autrement, il m’aurait suffi de… à cette seconde précise… »
L’inversion de la vie et de la mort : rien de tout ça n’apporte un quelconque bonheur, mais endurcit assurément. Vaincre la mort en riant affreusement et pourtant trembler comme une feuille craquelée au contact de la paume d’une fille en fleurs. Corde à danser que sont mes nerfs. J’ai fini par en faire de la soupe, du bouilli puis de la vapeur.
Se croire Autre que soi. De Dieu en passant par les idoles. Faute de pouvoir être soi, en soi surtout. Je n’étais pas destiné à écrire.
La psychose en tant que mémoire fictive : j’ai des souvenirs précédant ma naissance, précédant ma mémoire, une étrange caverne…une mystérieuse église faite de pierres et d’œuvres d’art. Je me souviens de l’avenir également : des microprocesseurs et d’étranges machines jaunes et vertes attachées à des fils multicolores reliés à une engin bleu métallique d’où émane des ondes...
Des entités étranges apparaissent au loin, ils pointent ma tête par l’entremise d’une lumière qui survole mon crâne. Puis d’une voix mugissante m’implantent un souvenir comme celui-ci :
-Par la présente vous consentez…
-Do, ré, mi, fa, sol, la, si, Docteur.
-À vous soigner…Contentez-vous simplement de signer. Vite. Nous sommes pressés.
-Eli, Eli, lama sabachthani ?
-Pas le temps.
Choc.
-« Il en veut encore, Dr ? » dit l’infirmière assistante.
Choc.
-« Vous buvez ? Non ? Vous êtes alcoolique ? Non ? Maintenant oui...dit psychiatre.
Choc.
-« Oh ! Je crois qu’il en a assez eu. Que faites-vous Docteur ? » affirme l’infirmière prenant finalement conscience du ravage.
-« C’est évident. Je lui dévoile son avenir. » dit-elle à sa subalterne avant de revenir à la charge : « Tu es toxicomane, toi? Non…non ? Maintenant, oui. » Choc.
Choc. Choc. Choc…
-« Comprenez une bonne fois pour toutes. Les gens de votre espèce, on les préfère morts que vivants. Vous coûtez cher et vous allez faire beaucoup de mal. Votre suicide sera une libération pour vous, mais surtout pour les autres. »
L’infirmière quitte la salle, les yeux fixant le sol…Psychiatre cri « Prochain client. Allez. On se dépêche. »
À la sortie quelqu’un me tend un formulaire : « consentez-vous à ce que l’État vous euthanasie. Cocher oui ou non. »
Lettre à Cosima Wagner, à Bayreuth, in Nietzsche, Billets de folie, Turin, 3 janvier 1889. https://fr.wikisource.org/wiki/Billets_de_la_folie, Je souligne.
Ce n’est pas un menu de restaurant que je vous présente, mais des exemples de ce qui parasitent les sens et les nerfs jusqu’à la défenestration.
Écrire : « Ils ont été » au passé composé me fait frôler la joie.
« S’insurger contre l’hérédité c’est s’insurger contre des milliards d’années, contre la première cellule ». Emil Cioran, Œuvres (De l’inconvénient d’être né), Paris, Gallimard, 1992, p. 1272.
Arthur Rimbaud, Poésies. Une saison en enfer. Illuminations, Gallimard, Paris, 1999, p. 84.